Profiter sans adhérer:
si le taux de syndicalisation est si faible en France, c’est à cause des free riders !
Ce constat est inspiré d’une thèse développée en 1965 par Mancur Olson[1]
traitant de la logique de l’action collective. Il faudrait parler d’un véritable paradoxe plutôt que de logique. La rationalité
individuelle est mise à mal dès lors que l’on observe que des individus qui ont tout intérêt à s’unir ne le font pas.
Pourquoi ce reflexe ?
Il procède d’un raisonnement simple reposant sur un contexte précis :
- Il y a un coût de l’adhésion à l’action collective (au syndicat par exemple) le coût est financier, ou
simplement un coût d’opportunité, un manque à gagner évaluer par la rémunération qu’aurait procurée une activité alternative (quand l’agent fait grève il ne touche pas son
salaire),
- Le fruit de la négociation à caractère de bien collectif[2] : une fois négociés, l’augmentation de salaire ou les avantages obtenus par les grévistes syndiqués
s’appliqueront à tous les salariés syndiqués et non syndiqués,
- Dès lors l’individu est rationnel lorsqu’il adopte une attitude dit de free rider, traduit par
passager clandestin (notamment par Jean Bénard, 1985) et remplacé par le terme aujourd’hui plus politiquement correct d’agent opportuniste bien intentionné faisant cavalier seul.
Le free rider échappe au coût de l’adhésion au syndicat (et à ses contraintes) mais il
n’est pas exclu de la jouissance des avantages nés de l’action syndicale ; d’une certaine façon il gagne sur tous les fronts.
En conclusion, pour mesurer la force syndicale en France (contrairement à la Suède où
l’adhésion est condition sine qua none du bénéfice des acquis sociaux) rien ne vaut les résultats aux élections sociales (comme nous l’avons déjà démontré dans un article sur la norme
sociale et la persistance du syndicat entre autres[3]).
Réponse lors des prochaines élections sociales ...en 2017.
[1] Olson, Mancur (1965) The logic of collective action, Cambridge, Havard University
Press
[2] Un bien collectif pur se définit par la non rivalité d’usage et la non divisibilité de sa
consommation. Dit autrement, on ne peut exclure personne de sa consommation, et il est consommé par chacun dans sa totalité : ce n’est pas un gâteau que l’on partage, mais tout le gâteau
pour chacun… difficile à comprendre ? voyez l’exemple du lampadaire il éclaire tout les passants, résidents (qui par leur impôt l’ont financé) ou non résidents qui profitent sans avoir participé
au financement.
[3] Jérôme Véronique (2013), « Norme sociale et persistance du Syndicat » in
Variation(s) sur la Norme, Association des lauréats de la chancellerie des Universités de Paris, L’Harmattan.
Mouvements étudiants et popularité de l’exécutif : quelles leçons en tirer pour la loi « travail » El
Khomri ?
Depuis les évènements de mai 1968, tous les gouvernements ont craint les mouvements étudiants et lycéens,
qu’ils soient spontanés ou savamment instrumentalisés.
C’est encore le cas aujourd’hui à propos de la loi sur la réforme du travail, les syndicats étudiants et
lycéens emboitant le pas des syndicats de salariés. Fait notoire toutefois, les revendications touchent un gouvernement de gauche accusé par une partie de son électorat de mener une politique de
« droite » avec en ligne de mire la loi Valls-El Khomri-Macron.
Est-ce une configuration nouvelle sous la Vème République ? Un gouvernement de gauche a-t-il
nécessairement moins de chance d’être menacé par le « mouvement de la jeunesse » ? C’est précisément ce que nous envisageons en mesurant la perte ou le gain de popularité de
l’exécutif, avant et après chaque mouvement (significatif) étudiant lato sensu depuis 1973.
Des motifs de conflit non exclusivement universitaires
Depuis 1973, on dénombre 52 mouvements impliquant les étudiants et/ou les lycéens. La plupart de ces
mouvements ont eu pour motif affiché la réforme de l’Université, mais pas seulement. Certains mouvements ont concerné les conditions matérielles et les droits des étudiants, mais au-delà, les
inquiétudes quant à la mise en place des différentes réformes du marché du travail. Les jeunes se sont ainsi directement impliqués dans le débat sur le contrat d’insertion professionnelle (CIP) en
1994, le contrat « première embauche (CPE) » en 2006, ou les retraites en 2010.
Une asymétrie dans le nombre de conflits selon la couleur politique du
gouvernement
Sur les 52 mouvements précédemment mentionnés, il existe une véritable asymétrie puisque 70% se sont
déroulés sous des gouvernements de droite et 30% sous des gouvernements de gauche. Par ailleurs, sur notre période d’observation (1973-2015), alors que la droite a gouverné pendant 24 ans et la
gauche pendant 19 ans, la fréquence moyenne d’apparition d’un conflit étudiant est de 1,5 fois par an sous un gouvernement de droite et de seulement 0,8 par an sous un gouvernement de gauche. On
comprend alors pourquoi on affirme que les syndicats étudiants ont souvent constitué, implicitement ou explicitement, le « bras armé » de la gauche lorsqu’elle est dans
l’opposition.
Les mouvements étudiants entraînent-ils un coût politique pour l’exécutif? Et seulement
pour un exécutif de droite ?
Si l’on mesure la variation du pourcentage de satisfaits du Premier ministre avant et après chaque
mouvement étudiant depuis 1973, dans 29 cas sur 52, le chef du gouvernement a subi une perte de crédibilité. Enfin, sur ces 29 cas, deux tiers d’entre eux concernent un Premier ministre de droite. Si
l’on peut établir que la perte de popularité moyenne avoisine les 5 points, on note que Jacques Chirac a perdu 10 points en 1986 lors du mouvement contre la loi Devaquet, qu’Edouard Balladur a perdu
4 points avec le CIP en 1994, puis 10 points avec la réforme Bayrou en 1995. De son côté, Dominique de Villepin a perdu successivement 15, 19, puis 9 points lors du conflit du CPE.
La droite n’a pas toujours été seule à être affectée par le coût politique des mouvements étudiants. Début
1984, Pierre Mauroy perd 2, puis 4 points lors du mouvement contre la loi Savary. En 1990, Michel Rocard perd 9 points à l’issue des manifestations lycéennes contre la loi Jospin. A noter que
la « guerre des gauche » sévissait déjà à cette époque. En 1998, Lionel Jospin devenu Premier ministre perd 11 points après le mouvement lycéen du 15 octobre. Il perdra encore 4
points lors du mouvement des Universités de Metz, du Havre, de Nantes et de Montpellier en mars 2001.
La perte de popularité due aux mouvements étudiants a-t-elle des conséquences
électorales ?
Une perte de popularité n’est pas intégralement transposable en coût électoral. En effet, la popularité
n’est qu’une composante du vote, à côté des performances économiques des sortants et de déterminants purement politiques comme le vote passé ou l’implantation électorale
territoriale.
Il n’en demeure pas moins qu’une crédibilité altérée entame le potentiel électoral des candidats à la
Présidentielle.
Ainsi, Jacques Chirac ne s’est jamais remis du mouvement étudiant de 1986 et a été battu en 1988. Edouard
Balladur a vu son socle de crédibilité fondre après les mouvements lycéens (et étudiants) de 1994 et du début 1995. Il fût ensuite battu au premier tour de la présidentielle de 1995. Enfin, Dominique
de Villepin a vu sa candidature potentielle en 2007 ruinée par le mouvement anti-CPE, alors même que Nicolas Sarkozy semblait en profiter en demandant le retrait du CPE.
A gauche, Michel Rocard a été durablement affaibli par le mouvement lycéen contre la loi Jospin en 1990.
Enfin Lionel Jospin aurait aimé se passer des grèves dans les Universités « jeunes » en 2001, soit un an avant la présidentielle.
Quid du gouvernement Valls et de François Hollande ?
Le mouvement étudiant et lycéen contre la loi El Khomri entamé le 9 mars 2016, a certes commencé avec une
mobilisation mitigée. Mais la détermination de l’UNEF, de l’UNL et de la FIDL (associées aux syndicats de salariés) qui ont annoncé la reconduction du mouvement pour le 17 mars, a déjà provoqué la
réécriture de la loi travail, pour aboutir à l’affaiblissement de ses aspects les plus libéraux. A cela s’ajoute la hausse du montant de la « garantie jeunes » devenue universelle, ce qui
représente un surcoût (prévu) pour l’Etat de 5 milliards d’euros. Le but est donc bien d’endiguer la montée de ce que d’aucuns ont appelé en un temps le « péril jeune».
Les choses sont en effet simples pour François Hollande. Le Président sortant est crédité de 19% de
satisfaits dans le dernier baromètre Ifop JDD et de 17% chez Opinionway. Il est ensuite potentiellement éliminé du second tour dans les intentions de vote à la présidentielle. Dès lors, tout
enracinement du mouvement étudiant et lycéen lui serait politiquement fatal pour sauver une candidature en 2017…bien que la France soit, et c’est paradoxal, dirigée par un gouvernement de
gauche.
Du même coup, les réformes structurelles attendront, plombées par une guerre des gauches qui n’a pas encore
trouvé son « vainqueur » depuis … le 17 juillet 1984, lorsque Pierre Mauroy fut remplacé par Laurent Fabius pour assumer une nouvelle politique, plus sociale-libérale et, ne l’oublions pas,
consécutivement au retrait d’une certaine loi Savary.
Mouvements sociaux : le gouvernement n’a rien à perdre à ne pas céder
Véronique Jérôme
15 juin 2014
La plupart des usagers ne comprennent pas les raisons de la grève à la SNCF. Pour les candidats au Bac elle
risque de surajouter au stress de l’examen. Les intermittents peuvent espérer plus de soutien de la part des français qui s’apprêtent à boucler leurs valises de festivaliers, mais ils n’approuvent
pas leurs revendications. Cependant pour le Président, il n’y aura aucun impact de ces mouvements sociaux sur sa popularité ni en positif ni en négatif. François Hollande n’a donc rien à craindre
dans ces conflits. Il aurait même tout intérêt à tenir bon, car le mal est fait. En effet comme l’a démontré en 1932 l’économiste John Hicks, c’est la menace de grève qui est plus efficace que la grève elle-même. Elle incite à la négociation
rapide et s’avère bénéfique aux deux parties. Alors qu’une fois engagé, le conflit génère des pertes pour tous, de sorte que n’ayant plus rien à perdre, chaque partie se
radicalise.
Rien à perdre mais y-a-t-il quelque chose à gagner pour le Président ?
Depuis 2012: une certaine « bienveillance syndicale » à l’égard de
François Hollande
Les syndicats, qui dans leur ensemble, ont plutôt soutenu François Hollande lors de la présidentielle de 2012, étaient
restés jusqu’à présent un peu en retrait. Aujourd’hui ils se réveillent, mais ils marchent en ordre dispersé. La CGT renoue avec le rôle de contre-pouvoir habituellement dévolu à ces
organisations. Alors que la CFDT a choisi le compromis en signant par exemple –avec FO et la CFTC – les accords sur l’assurance chômage.
Mais le Président a laissé passer sa chance
Paradoxalement, on observe que jusqu’à présent, cette « bienveillance syndicale » et l’absence de mouvements
sociaux généralisés, n’ont pas profité au Président de la République. Ne parvenant pas à capitaliser sur le calme apparent du climat social, affecté par des marques d’oppositions au sein même de son
propre camp, il n’a pu éviter de sombrer dans une impopularité record.
Par le passé, combien de Présidents et de Premier ministres, parfois en cohabitation, ont vu leurs cotes impactées par
des mouvements sociaux. En 1994, le « Smic Jeune » pénalise Edouard Balladur, puis ce sera au tour d’Alain Juppé en 1995 avec son plan de financement de la protection sociale et deux ans
plus tard Lionel Jospin affrontera le blocus des routiers.
Cependant, les mouvements sociaux actuels ne devraient
pas atteindre le Président, selon notre étude
Notre étude du soutien aux mouvements sociaux reliés à la popularité de l’exécutif sur 1995 à 2013 (Ifop), révèle
une influence variable selon l’origine des conflits (Voir méthodologie sur http://www.electionscope.fr ). Ainsi, il
semblerait que François Hollande ait moins à craindre d’un mouvement social des cheminots ou des intermittents du spectacle que d’un conflit avec les chauffeurs routiers, la police, les
professionnels de la santé ou les lycéens (voir graphique ci-dessous).
Le pire pour un exécutif: être impopulaire quand les mouvements sociaux sont
populaires
En moyenne, à long terme 2 français sur 3 soutiennent les mouvements sociaux … et plus
d’1 français sur 2 désapprouve l’exécutif
Les mouvements sociaux qui impliquent la police, les chauffeurs routiers, les professions de
la santé, ou encore les lycéens génèrent un coût en termes de crédibilité de l’exécutif. Dans une moindre mesure, c’est encore le cas pour des motifs
« défensifs » plus socio économiques tels que le temps de travail, la fonction publique ou encore mais de façon plus ténue, l’emploi le pouvoir d’achat et les retraites (quadrant
inférieur droit du graphique).
Mais il y a aussi des mouvements plus impopulaires que
d’autres
Le mouvement des cheminots comme tous les mouvements donnant le sentiment de défense d’intérêts
catégoriels (défense des entreprises publiques, buralistes, statut des fonctionnaires de l’éducation nationale, …) ne sont généralement pas bien
vus de l’opinion publique. Historiquement ces mouvements coexistent le plus souvent avec le maintien de la popularité de l’exécutif (quadrant supérieur gauche du
graphique).
Concernant le mouvement des intermittents, il reçoit normalement le soutien de l’opinion, mais
sans affecter l’exécutif. C’est encore le cas des opérations déclenchées par les chercheurs, les agriculteurs ou les syndicats défendant la survie des groupes industriels privés (quadrant supérieur
droit). Dans ce cas, les français soutiennent et comprennent mais n’incriminent pas forcément l’exécutif dont ils connaissent la faiblesse des marges de manœuvre.
Enfin, si l’exécutif n’a rien à perdre à ne pas céder, il n’a aussi rien à gagner à
laisser dégénérer les conflits.
Tout en étant moins soutenus, certains mouvements fédèrent des mécontents de chaque camp
politique qui critiquent l’exécutif mais pas forcément pour les mêmes raisons. Si l’on en croit notre étude, des causes complexes, que l’opinion à du mal à comprendre, deviennent
vite impopulaires sans que cela ne profite à l’exécutif.
N’est-ce pas un peu le cas aujourd’hui ?
Qui comprend les revendications des cheminots, qui se sont un temps opposés à la scission et qui aujourd’hui rejettent le
rapprochement SNCF et RFF (réseau Ferré de France) ?
Idem pour les intermittents, qui ne sont populaires que pour le côté spectacle : les festivaliers refusent qu’un
conflit gâche leurs loisirs, mais en même temps 60% des français se disent favorables à la suppression de leurs régimes spécifiques (sondage Tilder-Lci- Opinion Way 12/06/2014).
Alors cèdera ou cèdera pas ? Quoi qu’il en soit une chose est sure, la popularité de François Hollande n’en
sera pas affectée.