POURQUOI LA GAUCHE VA PROFITER D'UN VOTE SANCTION AUX REGIONALES

 

 

Véronique Jérôme-Speziari et Bruno Jérôme

 

 

Publié le 01/03/2010 à 09:25 – Site de l'Expansion

 

 

Mars 2004 : la gauche remportait 24 régions sur 26, 20 sur 22 en métropole, alors qu'elle n'en avait conquis que 7 en 1998, et 2 sur 22 en 1986 et 1992.

Depuis, la France a connu - par ordre chronologique - une élection présidentielle majeure, la plus grave crise économique mondiale depuis la Grande Dépression, le changement le plus important des règles du jeu de l'Union européenne depuis le traité de Nice en 1999, une nouvelle réforme de la décentralisation et une succession de chocs territoriaux (fermetures de casernes, de tribunaux, d'hôpitaux).

Pourtant, rarement scrutin devrait apporter aussi peu de changement dans l'équilibre des forces politiques que celui qui se tiendra les 14 et 21 mars.

Selon notre dernière simulation, le scénario le plus probable des élections régionales est en effet celui du statu quo. La gauche devrait conserver ses 20 régions sur 22. La droite garderait l'Alsace et la Corse. Si basculement il devait y avoir, ce pourrait être en Basse-Normandie, où PS et UMP sont donnés ex aequo. S'il n'est pas gêné par ses dissidences, le Front national pourrait se maintenir dans 8 régions (Alsace, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Nord-Pas- de-Calais, Picardie et Provence-Alpes- Côte d'Azur). Au premier tour, le score estimé de la gauche (Verts inclus) atteindrait 45 % des voix, 37 % pour la droite (UMP, divers majorité, Nouveau Centre et divers droite), le MoDem et l'extrême droite remportant chacun 9 % des suffrages. Au second tour, dans la (probable) triple hypothèse d'une fusion ou d'un désistement des Verts au profit du PS, d'un maintien du Front national et d'un retrait du MoDem, la gauche réaliserait un score moyen de 50,5 % des suffrages, contre 45 % pour l'UMP, 4 % pour le FN et 0,5 % pour les divers régionalistes.

Quels sont les principaux déterminants de cette prévision ? Les régionales sont des élections a priori locales. On peut donc légitimement penser que la qualité de la gestion de la région constitue un élément décisif pour les électeurs. L'UMP a d'ailleurs abondamment creusé ce sillon avec son Livre noir des régions socialistes. En réalité, nos études passées ont montré que la bonne gestion est une condition nécessaire pour l'emporter, mais pas suffisante car ces élections ont une forte résonance nationale. En conséquence, ce n'est pas la gestion des exécutifs locaux qui va se révéler déterminante, mais les performances de l'exécutif national. C'est d'ailleurs ce que disent les Français dans un sondage réalisé par LH2 pour le Syndicat de la presse quotidienne régionale et France Bleu en décembre 2009 : 65 % des habitants jugeront plutôt la politique du gouvernement et la situation économique et sociale, tandis que 25 % pensent se prononcer sur le bilan du président du conseil régional.

 

Simulation : probable victoire de la gauche aux régionales de 2010

 

 

Bruno Jérôme et Véronique Jérôme-Speziari

 

Rue 89

01/12/2009 à 16h20

 

 

 

Selon notre dernière simulation politico-économique, si les élections régionales avaient lieu aujourd’hui, la gauche remporterait 18 régions et ne concéderait d’extrême justesse que la Basse-Normandie et l’Ile de France. De son côté, la droite conserverait l’Alsace et la Corse.

Autre enseignement, en absence de toute dissidence, le Front national serait en mesure de se maintenir pour le second tour dans 8 régions (Alsace, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur).

Au premier tour, le score moyen estimé de l’UMP + Nouveau Centre et divers majorité est de 38% contre 43,5% pour la gauche lato sensu. Le Front national et le Modem sont tous deux estimés autour de 9%. Au second tour, la gauche obtiendrait un score moyen de 49,5% contre 46% pour la droite et 4% pour le FN, en supposant que ce dernier se maintienne. Quels sont les fondements de cette prévision et quels enseignements en retirer dans la perspective de 2012 ?

Les régions françaises restent des « nains économiques »

A l’instar des conclusions de nos précédentes études, les élections régionales des 14 et 21 mars 2010 vont d’abord se jouer sur des facteurs économiques et politiques nationaux. Même si certains sondages affichent l’opinion inverse, voter sur des enjeux locaux revient à se prononcer sur des budgets régionaux représentant en tout et pour tout 1,29% du PIB, soit approximativement et en moyenne 360 euros par français.

Contrairement à certaines régions autonomes espagnoles ou à certains Länder allemands, les régions françaises restent encore des « nains économiques » selon l’expression consacrée. Ajoutons que, et ce sont les mêmes sondages qui l’affirment, seules 23% des personnes interrogées sont capables de nommer le Président de leur conseil régional et que seuls 56% des citoyens connaissent la couleur politique de leur région.

Rien d’étonnant à ce que ce soient les déterminants macroéconomiques comme le taux de chômage (et ses retombées locales, néanmoins) puis les facteurs politiques comme la crédibilité de l’exécutif qui décident du résultat des prochaines régionales.

Tout semble en place pour que la gauche remporte une nouvelle victoire

Or, le Président de la République vient de décider de « nationaliser » la campagne des régionales. A-t-il été clairvoyant ? A titre de comparaison, avant la dure défaite de la droite en 2004, le taux de chômage atteignait 8,5% de la population active au second trimestre 2003 contre 9,1% au second trimestre 2009. Au surplus, la popularité de Jacques Chirac était de 49% en novembre 2003 contre 36% pour Nicolas Sarkozy aujourd’hui.

Tout semble en place pour que la gauche remporte une nouvelle victoire, voire le Grand Chelem comme la droite en 1992, si la situation économique et la crédibilité de l’exécutif venaient encore à se dégrader.

Du même coup, peut-on dire qu’une victoire aux régionales mettrait la gauche sur orbite pour 2012 ? Le doute est après tout permis, les régionales ayant été jusqu’à présent un très mauvais moyen de prédiction des échéances nationales à venir, sauf peut-être en 1992.

Et puis, comme s’en amusaient certains ténors de l’UMP lors des municipales de 2007, « la gauche est championne pour gagner les élections locales, mais pas pour remporter les élections nationales ».

Pourtant, quelque chose vient peut-être de changer. Pour la première fois depuis 1995, la simulation de notre baromètre de la présidentielle en continu montre que si celle-ci devait se jouer aujourd’hui, la gauche serait victorieuse dans un duel avec la droite au second tour avec 52% des voix.

Reste que le problème principal de la gauche, c’est justement de se qualifier pour le second tour. Pour cela, elle devra régler trois problèmes majeurs : celui du leadership, éviter la balkanisation de son potentiel électoral et, plus délicat, réconcilier la gauche tribunitienne et la gauche réformatrice brouillées depuis le virage idéologique du PS en 1982-83.