La modélisation du vote pour les élections municipales françaises de mars 2014

 

Le modèle explicatif du vote (ou fonction de vote) utilisé pour générer la prévision des municipales dans les villes de plus de 30.000 habitants intègre les données relatives à 236 villes, observées au cours de cinq élections municipales (1983, 1989, 1995, 2001 et 2008).

Le panel recouvre ainsi 1180 résultats électoraux (236 x 5) observés depuis 1983.

 

La logique du modèle ElectionScope® des élections municipales consiste d’abord, à expliquer le vote pour le camp sortant (premier tour) puis le vote pour l’équipe sortante (second tour) à l’aide de différents facteurs – politiques et économiques, locaux ou nationaux - rendant compte du comportement de vote moyen des électeurs depuis 30 ans.

 

La méthode d’estimation retenue est celle des moindres carrées ordinaires (MCO) sur données en panel, tout à fait appropriée dans le cas présent. Le nombre de cas analysés est beaucoup plus élevé pour le premier tour (1180) que pour le second (615) en raison de l’élection d’un nombre élevé de candidats dès le premier tour.

 

 

L’estimation du vote au premier tour

 

Figure 1 -Le modèle de premier tour

 

Après avoir testé de nombreux facteurs explicatifs et de nombreuses versions du modèle, nous avons choisi celui qui était le plus significatif d’un point de vue statistique. Le modèle de vote du premier tour est présentée dans la figure 1.

 

Au premier tour, le vote pour le bloc de gauche ou de droite dépend de six catégories de facteurs entraînant soit un gain, soit un coût électoral:

(1)               Le vote pour le bloc de droite ou de gauche aux élections municipales précédentes. Ceci permet de tenir compte de l’évolution du vote des électeurs « captifs » des grands blocs politiques. Pour 1% de voix reçu en t-6, le bloc de droite ou de gauche, proche de la couleur politique des sortants, ne récupère en moyenne que 0,51% des voix en t. Cette variable mesure à la fois la constance du vote purement idéologique et le « vote avec les pieds » traduisant la mobilité résidentielle des agents économiques électeurs d’une mandature à l’autre. Ceci s’ajoute à la constante du modèle (i.e. 29.02) exprimant le socle moyen de voix incompressible allant aux bloc de droite ou de gauche proche des sortants (ceteris paribus) au premier tour des municipales dans nos 236 villes de plus de 30.000 habitants.

(2)               La qualité de la gestion locale. Il s’agit ici de mesurer la qualité de gestion des finances publiques locales à travers un indicateur synthétique portant sur 8 ratios financiers[1] et les taux de fiscalité locale[2]. Pour chacune des ces composantes, on calcule un rang pour chaque ville compris entre 1 et 236. On effectue enfin, ville par ville, le rang moyen des 11 composantes, ce qui nous donne in fine l’indicateur synthétique de qualité de gestion des finances locales. Ce dernier permet se suivre l’évolution du classement de chaque ville depuis 1983. A titre d’exemple, selon le coefficient estimé de cette variable dans le modèle, un rang équivalent à la 236ème place engendre en moyenne un cout électoral de 2,2% des voix. Un rang équivalent à la 59ème place n’engendre qu’un cout électoral de 0,5% des voix.

(3)               La socio-démographie et la structure de l’habitat. Cet ensemble comprend trois variables : (a) un indice synthétique d’orientation politique de la socio-démographie professionnelle de la ville, (b) l’orientation partisane de la ville reflétée par le taux de HLM et (c) le biais partisan relevant du pourcentage de résidents de plus de 60 ans.

 

(a) Calculé d’après la structure des PCS[3] de la ville et l’inclination idéologique moyenne constatée pour chacune d’entre elles, l’indice synthétique d’orientation politique de la socio-démographie professionnelle est compris entre les valeurs suivantes :

-40 (socio-démographie professionnelle (SDP) très à gauche) ; -20 (SDP moyennement à gauche) ; 0 (SDP ni à droite ni à gauche) ; +20 (SDP moyennement à droite) ; +40 (SDP très à droite). Ainsi, à titre d’exemple, une SDP très à droite avec un indice de +40 dans une ville gérée à droite rapporte un gain électoral de 2,64% des voix. De même, un indice de -40 dans une ville gérée à gauche rapporte un gain électoral identique de 2,64% des voix. En revanche, par exemple, une SPD de -10 (donc légèrement à gauche) dans une ville gérée à droite engendre un coût électoral de 0,66% qu’il faudra compenser par d’autres facteurs plus favorables. On peut inverser cette situation et l’appliquer à une ville gérée par la gauche.

(b) En posant comme hypothèse qu’un parc HLM important est synonyme de gains électoraux pour la gauche (vice versa pour la droite), nous avons inclus une variable d’écart entre le taux de HLM dans la ville et le taux moyen du panel prenant en compte l’orientation politique de la ville. Ainsi, admettons que pour un taux moyen du panel de 26,8%, nous ayons un taux de HLM de 5,2% dans une ville de droite. Dans ce cas, et d’après le coefficient estimé du modèle, ce faible taux rapportera un gain électoral de + 1,10%. A contrario, un taux de HLM de 60% dans une ville de gauche rapportera un gain électoral de + 1,69%. Mais à l’opposé un taux de 60% de HLM dans une ville de droite engendrerait un coût électoral de 1,69% qu’il faudrait compenser par des éléments constitutifs du vote plus favorables. Bien entendu, un faible taux de HLM dans une ville de gauche entraîne un coût électoral.

(c) Un pourcentage élevé de résidents de plus de 60 ans devrait théoriquement   entraîner un gain électoral dans une ville de droite et un coût dans une ville de gauche.

Ainsi, d’après le coefficient estimé du modèle pour cette variable, un taux de + de 60 ans de 24% dans une ville de droite rapporte en moyenne un gain électoral de 2,16% des voix. Ce même taux de + de 60 ans coûterait 2,16% des voix dans une ville de gauche.

 

(4)               Cumul des mandats. Notre modèle montre clairement que le statut de député-maire apporte un gain électoral de 1,4% des voix au camp sortant. Pour information, nous avons testé tous les types de statuts occasionnant potentiellement une prime au sortant. Il en est ressorti que la seule variable vraiment significative était le député-maire sortant. Or, le 22 janvier 201, l'Assemblée nationale s'est prononcée en lecture définitive pour l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. Le dispositif ne prendra effet qu’en 2017. On peut alors supposer toutefois que la prime au député-maire sortant sera encore opérante dans certains cas en mars 2014. A noter que certains élus ont anticipé la loi et ont abandonné l’idée de se représenter aux municipales en tant que maire. D’autres ont choisi de se représenter…avec le statut de colistier.

(5)               Les facteurs économiques. Le taux de chômage par zone d’emploi a été retenu comme variable de mesure du climat et de l’activité économiques. Cet indice a pour spécificité de prendre en compte les ajustements locaux au taux de chômage métropolitain. De surcroit, le chômage par zone d’emploi a été préféré au taux de chômage dans la ville, dans la mesure où la majeure partie des agents économiques-électeurs ne travaillent pas dans leur ville mais dans le bassin d’emploi où celle-ci est située. Une variation du chômage d’un point sur un an, mesurée trois mois avant les municipales, engendre un gain électoral de 1,42% des voix pour les sortants[4] lorsqu’elle est négative. En cas de variation positive les sortants encourent un coût de 1,42% des voix.

 

(6)               La popularité du président de la République (ou du Premier ministre cohabitant[5])

Dans notre modèle de 2001, nous n’avions par retenu la popularité du chef de l’exécutif. Autrement dit, nous n’avions pas pris en compte la « correction » nationale susceptible de modifier à la marge un vote portant réputé comme étant local. Pourtant, un tel effet a été constaté à maintes reprises. En 1977, 1983 et 2008, le déficit de popularité de l’exécutif se retrouve certainement dans la défaite de nombreuses équipes municipales soutenant le Président (Giscard d’Estaing, François Mitterrand puis Nicolas Sarkozy). En 1989, les équipes municipales de gauche ont certainement bénéficié de la popularité encore excédentaire de François Mitterrand. Les élections de 1995 et de 2001 sortent quelque peu de ce schéma. En 1995, les municipales sont tenues dans la foulée de la présidentielle remportée par Jacques Chirac. Dans notre panel de 236 villes de plus de 30.000 habitants, en dépit de quelques victoires remportées dans des bastions du PCF, la droite et le centre ne voient évoluer leur solde net que de + 5 villes, le FN remportant deux villes. Les représentants de la majorité semblent avoir peu profité de la popularité encore excédentaire de Jacques Chirac. Mais, en regardant au plus près, ceci masque le fait qu’en 1995 le FN parvenait à se maintenir au second tour dans 101 villes de 30.000 habitants, dont 56 à gauche. Dans 18 d’entre elles, la gauche l’emporte en triangulaire bien que mathématiquement battue en cas de duel droite/gauche.

En 2001, la gauche est submergée par une « vague bleue » alors même que la popularité de Lionel Jospin est excédentaire. Cependant à cette époque, nous sommes en cohabitation et la popularité de Jacques Chirac est également excédentaire et supérieure à celle de son Premier ministre. Par ailleurs, la courbe du chômage commence à s’inverser. Enfin, les municipales ont lieu un an avant la présidentielle de 2012.

Ainsi, 1995 et 2001 mis à part, dans 4 cas sur 6 depuis 1977, le solde « satisfaits - mécontents » de l’exécutif correspond significativement à un gain en villes ou à une perte de villes. Ceci nous a conduits à introduire cette variable dans le modèle de vote du premier tour.

Dès lors, dans la perspective de 2014, et à titre d’exemple, un solde de -56,4[6] pour François Hollande occasionne un gain électoral de 10,71 points pour une ville de droite et un coût en voix de même ampleur dans une ville de gauche.

 

L’estimation du vote au second tour

 

L’estimation du vote au second tour porte précisément sur l’équipe sortante, que le maire se représente ou non. Contrairement au modèle de premier tour, le modèle de second tour illustre le transfert de voix s’opérant entre le 1er et le 2ème tour entre un camp politique au sens large et l’équipe sortante.

Figure 2 -Le modèle de second tour

 

 En effet, au second tour, l’offre politique n’est plus la même puisque les candidats ayant fait moins de 5% des exprimés disparaissent. Ceux qui ont dépassé ce seuil sont autorisés à fusionner. La variable exprimant les voix obtenues par le camp idéologiquement proche de l’équipe sortante au premier tour mesure ces phénomènes. L’estimation du modèle conduit à ce que pour 1 point de voix obtenu par le camp politique (lato sensu) proche des sortants, l’équipe sortante n’en récupère que 0,27 point en moyenne. Ceci s’ajoute à la constante du modèle (soit 38,50) exprimant le socle moyen de voix incompressible allant aux sortants (ceteris paribus) au second tour des municipales dans nos 236 villes de plus de 30.000 habitants.

Enfin, lorsqu’une liste a dépassé 10% des exprimés, elle obtient le droit de se maintenir au second tour, ce qui peut occasionner des triangulaires, des quadrangulaires voire des pentagulaires.

Nous avons ainsi modélisé l’influence du maintien d’un candidat du Front National sur le score de l’équipe sortante, selon que la triangulaire droite/gauche/FN a lieu dans une commune orientée à droite ou à gauche. Selon notre modèle de second tour, le maintien d’un candidat du FN en triangulaire dans une ville de droite coûte 8,48 points à l’équipe sortante. Dans une ville de gauche, ce coût est de 2,63%.

Par ailleurs, une triangulaire avec les verts dans une ville de gauche coûte 4,39% des voix aux sortants.

Par ailleurs, la déperdition en voix subie entre les deux tours ne dépend pas uniquement de l’existence de triangulaire. Aux municipales, les primaires et les dissidences sont en effet très fréquentes surtout depuis 1995. Ainsi, sur notre panel de 236 villes, on comptait 29% de cas de dissidences en 1995, 52% en 2001 et 32% en 2008. Le phénomène touche particulièrement les villes gérées par la droite où des listes dissidentes sont présentes en moyenne dans un cas sur deux. Les dissidences concernent des candidats n’ayant pas été investis par leur parti ou en rupture de ban avec ce dernier, et qui se présentent contre le candidat « officiel ». Or, les voix des dissidents éliminés ou celles des candidats « officiels » battus par les dissidents ne se reportent pas toutes sur les candidats qualifiés pour le second tour. Ainsi, d’après nos estimations, la présence au premier tour de dissidents de droite dans une ville gérée par la droite coûte en moyenne 5,51% des voix à l’équipe sortante de droite au second tour. De même, la présence au premier tour de dissidents de gauche dans une ville gérée par la gauche coûte en moyenne 2,23% des voix à l’équipe sortante de gauche au second tour. Il se peut enfin que le camp de droite ou de gauche peine à se rassembler autour d’un candidat unique. Dans ce cas, les candidats des partis s’affrontent en primaire (PCF ou FG contre PS, UMP contre UDI, etc.). Même dans l’hypothèse où un accord de retrait, voire de fusion, serait passé, tous les électeurs du candidat battu ne se reporteront pas sur celui qui reste en lice, fut-il du même camp. Ainsi, d’après nos estimations, une primaire coûte 6,41% des voix à l’équipe restée en course au second tour.



[1] Financement charge de la dette (marge d'autofinancement), niveau des dépenses (dépenses structurelles)/ habitant, rigidité des dépenses (frais de personnel, charges structurelles), fiscalité directe locale /habitant, mobilisation du potentiel fiscal (pression fiscale locale), dépenses d'équipement brut /habitant, encours de la dette/habitant, dépenses d'équipement brut /recettes réelles de fonctionnement

 

 

[2] Foncier bâti, foncier non bâti et taxe d’habitation

 

[3]Professions et catégories socioprofessionnelles

[4]Jusqu’à présent, et sous réserve d’analyses complémentaires ultérieures, nous n’avons pas pu mesurer sur notre panel de 236 villes si la variation du chômage affectait différemment les sortants de droite ou de gauche. De son côté, l’analyse économique du vote avance que les élus de gauche doivent être plus sanctionnés que ceux de droite s’agissant de l’augmentation du chômage. Précisions toutefois que ce constat à plutôt été fait au niveau national.

[5]Cas de 2001 avec Lionel Jospin.

[6]Au 4ème trimestre 2013 : S = 21,6 ; M = 78 soit finalement 21,6 - 78 = -56,4

 

Principes de la modélisation politico-économique des élections Municipales

 

Comparé à l’abondante littérature consacrée aux élections nationales, l’analyse politico-économique du vote aux élections locales était un domaine peu exploré il y a encore une dizaine d’années. Dans le cas français, les premiers travaux sur les élections municipales remontent à Jérôme et Lafay (1991[1]) puis à Jérôme et Jérôme-Speziari (2002[2]). D’autres travaux pionniers ont été conduits sur les cantonales (Jérôme et Lewis-Beck, 1999[3]) ou les régionales (Jérôme et Jérôme-Speziari, 2000 ; 2005[4]). Ces travaux affiliés à « l’analyse des Choix Publics » sont situés à l’intersection de la science économique et de la science politique[5]. Ils prennent en compte explicitement des liens s’établissant entre sphères économiques et politiques. Dans ce contexte, l’agent économique-électeur se comporte en évaluateur de la politique du maire, ou de l’équipe sortante, et exprime son verdict à travers le vote. Dès lors, les sortants doivent s’efforcer d’afficher le meilleur bilan possible. De même le maire peut s’efforcer de modifier la socio-démographie et la structure de l’habitat dans une direction qui lui serait favorable. Enfin, il pouvait, jusqu’à présent, jouer le cumul des mandats et en retirer une « prime » électorale. Néanmoins, les facteurs locaux ne sont pas les seuls à entrer dans le processus de maximisation des chances de réélection des sortants.

Les élections municipales françaises ne sont pas des élections locales comme les autres. Elles ont d’abord lieu le même jour. Dans les grandes villes, les têtes de liste sont par ailleurs désignées par les états-majors des partis politiques.

Enfin, le degré de « nationalisation » des élections municipales varie avec leur emplacement dans le cycle des échéances nationales. Le degré de politisation doit en principe augmenter à partir du milieu du quinquennat. C’est ainsi que de nombreux maires, par ailleurs bons gestionnaires, peuvent voir leur réélection compromise lorsque l’exécutif national est en déficit de crédibilité.

En ce qui concerne le climat économique, les maires sont également tributaires des retombées locales des performances macroéconomiques du gouvernement. C’est par exemple le cas pour le taux de chômage.

Tous les éléments qui précèdent expliquent en grande partie la dynamique de ce que l’on appellera la trajectoire politique d’une ville[6]. Il se trouve en effet que certaines villes constituent de véritables bastions inexpugnables tandis basculent systématiquement au gré d’une instabilité chronique. D’autres villes présentent des situations intermédiaires entre ces cas types. Ainsi, en prenant comme point de départ l’année 1983, on peut classer les villes de droite et de gauche du panel entre villes stables (5 victoires depuis 1983 ; 55% du panel), villes quasi stables (4 victoires sur 5 ; 18% du panel) ou villes instables (3 victoires sur 5 ; 27% du panel). Les villes instables sont, par nature, celles qui ont la plus forte propension au basculement. Cependant, certains bastions basculent à la faveur de « vagues » bleues (comme en 1977 ou 2001) ou roses (comme en 1983 et 2008). On mettra alors en avant l’importance des facteurs nationaux tels que la faiblesse de la crédibilité du Président de la République, qui nuirait aux maires de son camp et/ou les répercussions locales de mauvaises performances économiques au niveau national. Dans ce cas de figure, les déterminants nationaux l’emportent sur les déterminants locaux, qui pourtant caractérisaient et stabilisaient le bastion. Ajoutons que le basculement d’un bastion            a plus de chances de se produire lorsque le capital électoral d’une l’équipe s’érode d’élection en élection. Les facteurs sous-jacents peuvent en être : l’usure du pouvoir, une moindre performance économique et managériale, le déclin économique, une modification progressive de la socio-démographie urbaine, la transformation de l’habitat, une amplification du vote avec les pieds, etc.

Dans un contexte où la bipolarisation et le poids des partis restent forts, le vote aux municipales et les trajectoires politiques qu’il contribue à structurer d’années en année peuvent s’expliquer par tous les facteurs susmentionnés. Néanmoins, l’émergence du Front National lors de l’élection municipale partielle de Dreux des 4 et 11 septembre 1983 à bouleversé jusqu’à aujourd’hui, la nature et l’issue des duels classiques droite/gauche. A partir de 1989, les triangulaires (voire les quadrangulaires) deviennent un paramètre parfois décisif du résultat des élections municipales. Par ailleurs, le déclin du leadership des grandes formations politiques a libéré la concurrence à droite comme à gauche, engendrant également de plus en plus de triangulaires ou de primaires au sein du même camp. Ainsi, la question du maintien du Front National au second tour et la possibilité de triangulaires ou de primaires sont autant de facteurs qui peuvent modifier le résultat attendu dans un cadre bipolaire et par conséquent, ralentir ou au contraire accélérer, les trajectoires politiques des villes

 

En ce qui concerne les facteurs liés à la stratégie concurrentielle des partis et des candidats. On observera que le choix des têtes de liste par les états-majors peut en effet susciter des dissidences. Or, toute dissidence au premier tour peut entraîner une déperdition en voix pour un camp donné au second tour, une partie des électeurs ne reportant pas leur vote. Ce mécanisme opère aussi en cas de « primaires » même officialisées par les partis politiques. Le report à 100% des voix du concurrent battu du même camp n’est pas garanti, bien au contraire. Enfin, on ne peut écarter l’influence d’un « tiers parti » qui, qualifié pour le second tour, refuserait de s’allier aux regroupements politiques traditionnels (Droite/divers droite/centre droit ou PCF/PS/divers gauche/verts). C’est notamment le cas pour le Front national. Dans ce cas, l’émergence de triangulaires, de quadrangulaire, voire au-delà, perturbe la logique bipolaire et rend le résultat final plus aléatoire.

Le vote aux municipales obéit donc à un faisceau de déterminants, agissant comme autant de « coûts » ou de « gains », s’ajoutant les uns aux autres, à un socle électoral constitué par la clientèle « captive » des partis ou des candidats. Le résultat final de l’élection dépend de cet empilement de causes, d’où l’intérêt de modéliser, en les quantifiant, la plupart des facteurs intervenant dans le processus de décision de l’électeur.

Une fois ce travail accompli, le modèle pourra être exploité au service de la simulation ou de la prévision électorale. Cet exercice sera toujours probabiliste et conditionnel. La modélisation, via les outils de l’économétrie, ambitionne de simplifier la réalité observée et « complexe » en ne retenant que les facteurs les plus significatifs de celle-ci. Tout modèle est construit à partir d’un échantillon d’observations, des hypothèses sur les facteurs expliquant le phénomène observé, et par conséquent repose sur une marge d’erreur. Cette dernière reflète les variables non prises en compte par le modèle et les facteurs aléatoires qui éloigneraient, plus ou moins, la valeur modélisée (estimée) de la valeur observée.

Les informations tirées d’un modèle ne sont donc pas valable en dehors des hypothèses qui le déterminent. C’est la raison pour laquelle nous affecterons à toute prévision de vote, une probabilité de réalisation.

 

[1] Lafay J.-D. et Jérôme B. (1991), « Qualité de la gestion municipale et résultats électoraux des maires sortants, analyse empirique des élections de mars 1989 », Economie 1991, Université de Perpignan.

 

[2] Jérôme-Speziari and V. Jérôme B. (2002), « Les municipales de mars 2001, Vote récompense ou vote sanction ? Les leçons du modèle politico-économique », Revue Française de Science Politique, volume 52, n°2-3 Avril-juin , p. 251-272.

 

[3]Jérôme B. et Lewis-Beck M.S. (1999), « Is local politics local ? French evidence. », European Journal of Political Research, Kluwer Academic Publishers, Amsterdam, 35 , p. 181-197.

 

[4]Jérôme B. and Jérôme-Speziari V. (2000), « The 1998 French Regional Elections , Why so much Political Instability ? », Electoral Studies, Elsevier, 19 , p. 219-236.

       Jérôme Bruno et Véronique Jérôme-Speziari (2005), «2004 French Regional Elections, The politico- economic factors of a nationalized local ballot «, French politics, 3, p. 142-163, Palgrave.

 

 

[5]Pour en savoir plus, voir Jérôme, B. and Jérôme-Speziari, V. (2010), Analyse économique des élections, Economica.

[6] Pour en savoir plus sur cette question, voir Foucault, M., Jérôme, B., Jérôme-Speziari V. et R. Nadeau (2014), Les élections municipales françaises, 1983-2008. Un modèle de trajectoires politiques, Collection Gouvernance, Presses de Sciences Po (à paraître en septembre 2014).

 

 La prévision des élections municipales de 2014 (principes et interprétation)

Finalités de la prévision électorale

 

Depuis au moins cinq décennies, les différentes méthodes visant à anticiper le résultat des élections se sont considérablement développées et diversifiées. A côté des méthodes non scientifiques relevant de la pure divination, on compte aujourd’hui tout un ensemble de techniques dont la nature « scientifique » suit une certaine gradation. On peut aller ainsi des traditionnelles enquêtes de sondage aux modèles économétriques en passant par les panels d’experts, le vote expérimental ou les marchés électroniques[1]. Quel que soit leurs niveaux d’expertise, le public, les décideurs et les media ont donc à leur disposition un grand nombre de projections électorales, dont ils attendent parfois beaucoup, au point de les tenir parfois comme la « vérité absolue » de demain. Ce qui ne manque pas d’exercer une certaine pression sur le prévisionniste fut-il un « modélisateur ».

Au-delà de leur rôle traditionnel d’explication des comportements électoraux, les fonctions de vote économétriques peuvent être utilisées pour réaliser des prévisions électorales. Parmi les qualités propres à tout modèle de prévision scientifique[2], la précision a sans nul doute une importance prépondérante. Il ne faut cependant pas négliger la précocité d’une prévision dans la mesure où celle-ci peut constituer un indicateur avancé ou un élément d’information important pour les utilisateurs potentiels, qu’ils soient électeurs ou décideurs lato sensu.

 

 

 

Comment interpréter la prévision électorale d’un modèle?

Par ailleurs, une prévision ou une simulation scientifique est par essence probabiliste, par opposition à la voyance ou aux paris, par exemple. Elle n’est donc jamais « vraie » a priori. Elle repose sur un échantillon d’observations ainsi que sur les coefficients estimés des variables explicatives du phénomène prévu. La prévision évolue par conséquent entre les bornes d’un intervalle de confiance. Ainsi, lorsqu’on utilise un modèle économétrique de vote, tout score prévu doit être encadré par l’écart-type de la régression.

Ajoutons enfin que la prévision du vote n’est pas interprétable en dehors des facteurs explicatifs incorporés dans le modèle. Nous dirons ainsi que « compte tenu des variables explicatives utilisées, et si les électeurs se comportent en moyenne comme par le passé, alors les sortants ont telle chances d’obtenir x% des suffrages exprimés ». Le résultat devant être ensuite lui à l’aune de la marge d’erreur du modèle. D’où l’intérêt de donner ensuite au potentiel de voix estimé, une lecture probabiliste en termes de chances de l’emporter ou de dépasser tel ou tel seuil de voix décisif.

 

La prévision des municipales, à partir de notre panel de 236 villes, a été menée à deux reprises, en 2001 et en 2008[3]. En 2001, le modèle a permis d’anticiper correctement l’issue du scrutin dans 83% des cas. En 2008, le taux de succès est globalement retombé à 63%. Cependant, un examen a posteriori des simulations a montré que le bon rapport de force droite/gauche avait été prévu dans 3 cas sur 4 mais que le maintien de nombreux dissidents au second tour avait coûté la victoire (potentielle) à de nombreux sortants, notamment à droite. La fonction de vote a beau intégrer le coût de la dissidence côté variables explicatives, encore faut-il anticiper ce phénomène afin de le coder correctement pour estimer l’issue possible du scrutin. Cette question se pose dans les mêmes termes lorsqu’il s’agit d’anticiper si le Front national a, ou non, une forte probabilité de se maintenir au second tour.

 

La prévision électorale est par conséquent un exercice qui doit être pratiqué avec toute la modestie qui s’impose et ce d’autant plus que la prévision des élections municipales doit prendre en compte des facteurs politiques relevant de la stratégie des acteurs à la fois locaux et nationaux (question des investitures, du maintien ou du retrait des candidats, etc.) dans chaque ville. En revanche, il est toujours possible d’approcher au mieux le rapport de force droite/gauche aux deux tours de l’élection municipale. Sur cette base, on peut ensuite simuler et évaluer l’incidence causée par la présence du FN au second tour et/ou l’influence des dissidences. Mais, ce faisant, le prévisionniste doit prendre un peu plus de risque en codant par avance toutes ces éventualités.

 

Dans la perspective de mars 2014, nous avons dans un premier temps généré, à partir des fonctions de vote (voir tableaux 1 et 2), pour chaque ville, les potentiels électoraux[4] du camp sortant au premier tour puis ceux de l’équipe sortante au second tour. Cependant, afin d’éviter le côté parfois trop « tranché » des prévisions en voix, nous avons préféré présenter ici quelques exemples exprimés en termes de probabilité de victoire[5] au second tour.



[1] Pour une revue des méthodes de prévision des élections voir Jérôme et Jérôme-Speziari (2010), Analyse économique des élections, Economica, pp.239-306.

[2] La précision, la précocité, la reproductibilité et la parcimonie des variables explicatives ; voir sur ce sujet Lewis-Beck M. (1985), « Election Forecasting : Principles and Practise », British Journal of Politics and International Relations, Vol.7, p.145-164.

[3] Jérôme B., Jérôme-Speziari V. (2001), « Elections municipales : les causes multiples d’une stabilité annoncée », Le Figaro Economie, Cheminement du Futur, 23 février.

Jérôme B., Jérôme-Speziari V. (2001), « Les 11 et 18 mars : un vote récompense ? », Les Echos, rubrique Idées p. 44, 23-24 février.

Jérôme-Speziari V. et Jérôme B. (2002), « Municipales de mars 2001 : vote récompense ou vote sanction ? Les réponses de l’analyse politico-économique », Revue Française de Science Politique, Vol. 52, Numéro 2-3, avril-juin,

Jérôme-Speziari Véronique et Bruno Jérôme (2008), « Municipales : Avis de vaguelette rose » l’Expansion, Mars, n° 728 p 72 – 74.

 

[4]En pourcentage des suffrages exprimés

[5] Il s’agit de la probabilité que la valeur prévue dépasse un certain niveau critique compte tenu de la marge d’erreur du modèle. En cas de duel classique, le seuil critique est de 50%. En cas de triangulaire avec le FN, ce seuil critique est ramené au score attendu du candidat de l’opposition municipale de gauche ou de la droite parlementaire.

Le calcul des probabilités de victoire

 

Cas d’un duel classique

 

Pour calculer la probabilité de victoire d’un candidat ou d’un bloc de candidats à la majorité absolue, nous avons besoin de déterminer l’aire située au-dessous de 50% d’une distribution normale dont la moyenne est le score simulé par la fonction de vote et l’écart-type est l’écart-type de la régression (soit la marge d’erreur du modèle). Cette marge d’erreur est de 7,8 dans la fonction de vote de premier tour et de 6,8 dans celle de second tour.

On peut utiliser à cette fin la fonction NORMDIST d’Excel.

Par exemple, dans le cas de Pau, le score estimé par la fonction de vote de premier tour est de 36,32% pour le camp sortant tandis que le score estimé est de 40,55% pour l’équipe sortante au second tour.

Pour le premier tour nous programmons :

=NORMDIST(50,36.32,7.8,TRUE)
=96%
C'est-à-dire qu’il y a 96% de chances pour que la barre des 50% ne soit pas franchie avec une prévision de 36.32% au premier tour. Ceci revient à avoir 4% de chance de franchir les 50% au premier tour.

Pour le second tour nous programmons :

=NORMDIST(50,40.55,6.8,TRUE)
=60%
C'est-à-dire qu’il y a 60% de chances pour que la barre des 50% ne soit pas franchie avec une prévision de 40,55% au second tour. Ceci revient à avoir 40% de chance de l’emporter au second tour.

 

Cas des triangulaires avec le Front National

Dans ce cas, le seuil à franchir pour que le sortant gagne correspond au score estimé du candidat principal de l’opposition municipale.

Nous obtenons une estimation du score de l’équipe sortante grâce à la fonction de vote de second tour. Restent deux inconnues : le score du principal candidat d’opposition et le score du FN.

Nous connaissons cependant, d’après la fonction de vote de second tour, le coût électoral du maintien du FN pour une équipe sortante de droite (soit 8,48% des voix) et pour une équipe sortante de gauche (soit 2,63 % des voix).

Dans les villes où nous avons estimé que le FN pourrait se maintenir, nous avons recueilli le score de Marine le Pen, de la droite (+MoDem) et de la gauche à la présidentielle de 2012. Dans ces villes, et d’après les scores de 2012, nous avons ensuite calculé les poids suivants : FN/[Droite + FN] et Droite/[ Droite + FN] d’un côté et FN/[Gauche + FN] et Gauche/[ Gauche + FN] de l’autre.

Dans les villes de droite où une triangulaire avec le FN est possible : après avoir retiré 8,48% (déperdition due au FN) des voix à l’équipe sortante de droite, nous avons appliqué à (100- ce résultat) le poids FN/[Gauche + FN] calculé pour la présidentielle. Ce qui nous donne le score approximé pour le bloc de gauche.

Le calcul approximé pour le FN devient alors : FN = [score de l’équipe sortante de droite estimé au T2 – 8,48] – [score approximé pour la gauche].

On procède la même manière pour les villes de gauche.

 

Ainsi à Montbéliard, le score estimé pour la gauche sortante en cas de duel classique est de 49,6%. En ôtant la déperdition due à la présence du FN au second tour, il vient 49,6-2,63=46,9%.

Après application du poids Droite/[ Droite + FN]=0,633 à [100-46,9%], on obtient alors :

Gauche = 46,9 ; Droite =33,9 ; FN = 19,2.

Pour l’emporter il faut que la gauche batte au minimum le score de 33,9%.

 

Nous programmons dès lors:

=NORMDIST(33.9,46.9,TRUE)
=3%
C'est-à-dire qu’il y a 3% de chances pour que la barre des 33,9% ne soit pas franchie avec une prévision de 46,9% au second tour. Ceci revient à avoir 97% de chance de l’emporter au second tour en triangulaire en présence du FN.