De dr. à g. Coase, Black, Buchanan, Ferguson, Nutter, Tullock, Yeager. U. of Virginia (1962)

En hommage à James Buchanan, Nobel d’économie 1986, disparu le 9 janvier 2013

 

L’économie politique de James Buchanan : une source d’inspiration pour tout « bon » gouvernement…

 

 

 

 

 

 

 

Bruno Jérôme (*)  

Véronique Jérôme-Speziari (**)  

 

 Avec la disparition de James Buchanan, ce n’est pas seulement le prix Nobel d’économie 1986 qui disparait ce 9 janvier 2013, c’est aussi l’un des pères fondateurs de l’Ecole des Choix Publics.

Erigée parfois en dogme, souvent caricaturée maladroitement, l’économie politique moderne de Buchanan nous laisse pourtant un ensemble d’avancées théoriques et pratiques en matière de politique économique et de gouvernance de l’Etat, dont tout responsable politique aux prises avec les déficits publics et le fardeau de la dette devrait aujourd’hui s’inspirer.

 

A la fin des années 50, en pleine montée de l’Etat Providence comme solution aux failles du marché, les travaux de Buchanan vont modifier singulièrement la vision que l’on avait du rôle et de l’action économique des gouvernements, « despotes bienveillants » jusque là sublimés tant par la théorie keynésienne dominante que par l’économie publique normative d’inspiration néoclassique. Pour Buchanan, il convient de s’interroger sur les « failles » de l’Etat et de considérer que le marché est plutôt la solution et non le problème.

 

Renouvelant le concept d’individualisme méthodologique, James Buchanan va expliquer que la recherche de l’intérêt individuel concerne tout autant les décideurs publics que les agents économiques privés. Ainsi, en cherchant à créer ou à maintenir certains avantages et privilèges, les hommes politiques favoriseraient la rigidité à la baisse de la dépense publique avec pour corrolaire une pression fiscale élevée. L’Etat devient alors un « conglomérat » où chaque entité qui le compose cherche à optimiser sa propre situation.

 

Il postulera ensuite qu’en démocratie, le gouvernement n’a pas seul unique objectif la conduite de la politique économique car il est aussi contraint par le calendrier électoral et la maximisation de chances de réélection. Ces contraintes vont l’inciter à manipuler les instruments de politique budgétaire (impôts, dépenses publiques, transferts) pour favoriser sa « clientèle captive » et certains groupes d’intérêt juste avant les élections. Le poids de l’Etat risque alors de croître inexorablement au-delà de ce qui serait optimal. C’est ainsi que James Buchanan pose clairement la question de l’efficacité de la dépense publique et de ses incidences microéconomiques. L’approche coût/avantage de l’impôt est ainsi consacrée, à l’encontre de la pensée dominante de l’époque. Dans cette optique, chaque citoyen qui consent à l’impôt en attend en retour une fourniture raisonnable (sans gaspillage) de biens publics. Si tel n’est pas le cas, l’incitation à travailler et à produire sera alors d’autant moins forte. Les économistes de l’offre (supply siders) se réapproprieront cet argument au début des années 80.

 

Enfin, dans l’économie réelle, les agents économiques sont tout à la fois ceux qui subissent les décisions politiques et ceux qui choisissent les hommes politiques qui décideront pour eux. Partant de ces postulats, Buchanan, fort longtemps après Schumpeter nous oblige à admettre l’interaction entre les sphères politique et économique, interactions qui tout en élargissant l’analyse économique de l’Etat la rend aussi plus réaliste (donc plus positive au sens scientifique par opposition à l’approche traditionnelle normative).

 

Mais plus encore, cette démarche eut pour conséquence de considérer le vote et les élections – en tant que processus de choix collectifs – comme instrument fondamental de sélection des décisions économiques publiques. La question électorale n’est plus alors   l’apanage de la seule science politique.

 

Dans ce registre, les noms de James Buchanan et de son collègue Gordon Tullock resteront toujours associés au problème du calcul du consensus (social). En 1962, dans l’ouvrage « The Calculus of Consent », les deux auteurs montrent que toute prise de décision collective est nécessairement entachée d’un coût social, d’autant plus important que le nombre de « victimes » de la décision est important. Dès lors, seule une règle électorale adéquate permet de minimiser le coût social engendré par chaque décision publique. La question est posée lorsqu’un candidat ou un parti parvient au pouvoir avec 51% des voix. Chaque application des propositions de son programme générera donc au moins 49% de « victimes ». Buchanan et Tullock montrent que l’on ne s’approchera du consensus social qu’en cas de majorité qualifiée ce qui permet le réduire le nombre de perdants de la décision. C’est précisément cette voie que l’Europe tente aujourd’hui de prendre en matière de choix collectifs supranationaux. Dans le cas français, les enseignements des Choix Publics peuvent nous aider à comprendre pourquoi François Hollande peine à trouver un consensus social pour appliquer son programme économique et sociétal.

 

Comme nous l’avons évoqué initialement, s’interroger sur les faillites respectives du marché et de l’Etat revient à poser la question de l’efficacité relative (en matière de production, de redistribution et de régulation) de ces deux modes d’organisation, par ailleurs très clivants d’un point de vue idéologique.

Si la question se pose moins s’agissant des biens et services privés relevant d’un « concernement » individuel quand les biens collectifs purs sont pour leur part du ressort de l’Etat, la question est plus délicate pour les biens dits « clubs ». Il s’agit de biens dont on ne peut limiter les bénéfices de leur consommation (principe de non rivalité propre aux biens publics) mais dont on doit interdire ou limiter l’accès à la consommation  (principe d’exclusion propre aux biens privés). C’est précisément le cas de certaines ressources naturelles ou animales voire d’écosystèmes fragiles ayant des retombées globales. C’est aussi le cas lorsque l’on veut limiter l’accès de ces biens à des « resquilleurs » potentiels (free riders) ou que l’on veut limiter leur surexploitation. De tels biens doivent alors être gérés par un « club » d’individus ou de pays qui doivent rechercher le point d’équilibre entre l’avantage retiré de l’entrée d’un nouvel adhérent-contributeur et la nuisance occasionnée (effet de congestion). Cette problématique est bien entendu transposable à d’autre sujets comme la question de l’élargissement de l’Europe.

Ici encore la théorie (économique) des clubs initiée par Buchanan en 1965 est d’un apport considérable chaque fois que l’on doit décider et choisir alors que ni le marché ni l’Etat ne constituent une solution pure et adéquate, ce qui renvoie dos à dos les clivages politiques traditionnels et les solutions « préemballées ». James Buchanan a donc été aussi, sans conteste, le grand théoricien du « hors marché ». Or, observant les nombreuses erreurs de diagnostic commises par les décideurs publics quant à la « vraie » nature de certains biens et services, on mesure aujourd’hui combien une approche politico-économique à la Buchanan fait parfois cruellement défaut lorsqu’on doit trancher entre l’Etat ou le marché.

 

Ainsi que nous l’avons vu, James Buchanan nous a clairement enseigné que la théorie économique ne devait jamais être un champ clos réduit à un petit cénacle d’experts se focalisant sur une « tête d’épingle ». Dans un monde réel où sphères privée et publique sont en interaction permanente, Il nous a appris que l’on devait d’abord étudier l’Etat et les acteurs politico-économiques tel qu’ils sont avant de réfléchir à la manière dont ils devraient se comporter, et non l’inverse. La théorie des choix publics qu’il a contribué à développer avec Gordon Tullock, tout comme Geoffrey Brennan, Dennis Mueller, Bruno Frey ou Bernard Groffman le font encore, reste un outil d’analyse puissant des décisions collectives dont les retombées pratiques sont nombreuses en matière de gouvernance politique et économique.

A cet égard, on espère que les hommes politiques français, en retard de 30 ans sur les Thatcher et autres Reagan, comprendront à temps toute la portée de la prévision de Buchanan sur les conséquences funestes de l’irrésistible croissance de l’Etat. Or pour l’heure, l’Etat ne pourra survivre que s’il prouve qu’il peut être efficace en matière de finances publiques et suffisamment protecteur envers les victimes de la mondialisation. Mais, et c’est le dernier enseignement de l’œuvre de James Buchanan, les décideurs politiques devront de plus en plus se donner les moyens d’établir leur crédibilité aux yeux de citoyens, plus que jamais informés et réactifs, en prouvant qu’ils sont à leur service et non au service de leurs propres intérêts et carrière.

 

 

 



(*) Maître de Conférences des universités (Hdr) en Sciences économiques à Paris II Panthéon-Assas

 

Dr en Sciences économique de Paris 1

 

Membre le la Public Choice Society, de l’American Political Science Association et du Political Forecasting Group

 

Co-fondateur du site ElectionScope

 

Co-auteur d’Analyse Economique des Elections, Economica, 2010 et auteur ou co-auteur de nombreux articles académiques sur l’analyse économique de la politique et la prévision électorale.

 

 

 

(**)Maître de Conférences des universités (Hdr) en Sciences de gestion à Paris Sud 11

 

Dr en Sciences économique de Paris 1

 

Membre le la Public Choice Society, de l’American Political Science Association et du Political Forecasting Group

 

Co-fondatrice du site ElectionScope

 

Co-auteure d’Analyse Economique des Elections, Economica, 2010 et auteure ou co-auteure de nombreux articles académiques sur l’analyse économique de la politique, la prévision électorale et le marketing politique.