Une martingale suffira-t-elle à inverser la courbe du chômage ? Peut-être.

A gagner les élections ? ... Pas sûr

 

Véronique Jérôme                             

Bruno Jérôme

 

20 janvier 2016

Si les modèles politico-économiques démontrent l’impact positif de la baisse du chômage sur les chances de réélection du sortant, ils supposent aussi que le ressenti auprès des agents-électeurs soit réel et non pas uniquement statistique…

 

 

Le 31 décembre au soir François Hollande a volontairement oublié qu’il s’était engagé à conditionner sa candidature à la présidentielle à l’inversion de la courbe du chômage. Il joue finalement sur les ressorts du cycle économique électoral théorisé par l’économiste William Nordhaus en 1975[i].  C’est ainsi que comptant sur une certaine dose de myopie de la part des électeurs, le gouvernement sortant manipule l’économie avant les élections pour maximiser ses chances de réélection. En économie politique moderne, « manipuler » signifie qu’il suffit de relancer l’économie avant les élections, par exemple via la hausse de la dépense publique, afin « d’obtenir » une baisse du taux de chômage au moment opportun.

 

Pour inverser la courbe du chômage d’ici à décembre 2016, il y a deux conditions nécessaires mais peut être pas suffisantes : une estimation empirique

 

Afin de stopper la progression du chômage avant de l’inverser, (1) la première condition relève d’un taux de croissance du PIB suffisamment élevé pour créer de l’emploi. A cet égard, peut-on calculer le taux de croissance idéal à partir duquel le taux de chômage commence à refluer ? Nous tenterons ici d’en donner une estimation empirique. Cependant, un taux de croissance ne se décrétant pas, la première condition doit être appuyée par (2) une seconde condition, à savoir créer un nombre suffisant d’emplois aidés, comme de nombreux gouvernement l’ont fait depuis 40 ans. Là encore, quel serait le nombre d’emplois aidés nécessaire pour assurer la baisse du chômage en renfort, si nécessaire de la croissance ? Nous essaierons d’y répondre.

Reste que ces deux conditions à l’inversion de la courbe du chômage peuvent ne pas être suffisantes. L’utilisation stratégique du cycle économique électoral présente en effet certains risques.

  1. Quel serait le taux de croissance « idéal » pour stopper la progression du taux de chômage ? Est-il suffisant ?

En comptant sur une inversion de la courbe du chômage en 2016, François Hollande a-t-il peu de chances de se tromper ?

En 2014, la France partait d’un taux de croissance de 0,2%. Ce chiffre devrait passer 1,1% en 2015[ii] (prévision). Pour 2016, les conjoncturistes tablent sur un chiffre compris entre 1,2 et 2%, une fourchette large au demeurant. En approchant la borne supérieure, le taux de chômage a évidemment plus de chances de refluer que l’inverse.

Mais au-delà, à partir de quel taux de croissance du PIB le taux de chômage (au sens du BIT) cesse-t-il de croitre ? Pour y répondre nous utilisons quelques équations économétriques simples, mais finalement informatives.

Nous partons d’une relation de type OKUN testée sur la période 1974-2014, où la variation  du chômage est expliquée par le taux de croissance du PIB et le niveau passé du taux de chômage (équation 1). En effectuant une simulation à partir des coefficients estimés, on peut établir qu’il faudra un taux de croissance du PIB de 1,6% à l’issue de 2016 pour stopper la hausse du taux de chômage en métropole[iii].

On en déduit qu’un taux de croissance moyen de 1,6% prévu pour 2016 risque de ne pas suffire. Le gouvernement sera donc tenté de recourir aux emplois aidés, à l’instar de nombre de ses prédécesseurs depuis 40 ans.

Mais combien d’emplois aidés faut-il créer pour inverser la courbe du chômage ?

  1. Avec un taux de croissance simulé de 1,6%, combien faudrait-il d’emplois aidés fin 2016 pour inverser la courbe du chômage ?

Si l’on part de l’hypothèse que la variation du chômage est fonction, cette fois, du taux de croissance et du nombre d’emplois aidés (équation 2), il ressort d’une nouvelle simulation, que pour passer d’un taux de chômage (probable) de 10,2% fin 2015 à 10,1% fin 2016 (soit un reflux de 0,1 point), il faudrait avoir créé 985 000 emplois aidés[iv] à l’issue de l’année 2016.

Pour mémoire, le nombre d’emplois aidés est de 693 000 en 2014 (source Dares). En laissant, par pure hypothèse, le nombre d’emplois aidés constant pour 2015 (à 693 000 donc), cela signifie que  la création d’emplois aidés doit croître de 292 000 d’ici à 2016 pour inverser la courbe du chômage.

Il est à noter que la création d’emplois aidés n’est pas une spécificité de gauche. Que la droite ou la gauche soit au pouvoir, l’impact de la création d’emplois aidés sur la baisse du chômage est à peu près équivalente (équation 3).

 

Les contrats en alternance, fers de lance de l’inflexion du chômage

 

Reste une question en suspens. Parmi les composantes du nombre total d’emplois aidés, i.e. (a) contrats en alternance + (b) emplois aidés marchands (hors alternance) + (c) emplois aidés non marchands (hors alternance), quelle est celle qui a le plus de chance de peser sur l’inflexion du chômage?

En réalité, d’un point de vue empirique, seuls les contrats en alternance semblent permettre significativement une inflexion de la courbe du chômage (équation 4). La croissance des emplois aidés non marchands a un impact négatif sur la variation du chômage mais la variable n’est pas statistiquement significative.

De son côté,  l’augmentation des emplois aidés marchands exerce une influence  positive sur la variation du chômage, la variable n’est pas statistiquement significative. Toujours d’un point de vue empirique, ce dernier point souligne l’inefficacité relative des emplois marchands aidés, qui du point de vue de certains économistes, produiraient même du chômage différé (concept originellement dû à Pierre Cahuc).

Lorsque l’on teste l’impact des différents emplois aidés en fonction de la couleur politique du gouvernement (équations 6 et 7), on constate que gauche et droite ont pesé sur la courbe du chômage avec succès, et avec une intensité similaire, en mobilisant avant tout les contrats de formation.  Toutefois, la gauche au pouvoir semble avoir eu plus de succès que la droite en agissant sur les emplois aidés non marchands[v]. La mobilisation des emplois aidés marchands par la gauche reste cependant synonyme d’échec pour infléchir la courbe du chômage[vi].

 

Quelles sont les limites aux conditions de l’inversion de la courbe du chômage ?

 

La première limite relève de la fragilité de la croissance française face aux chocs exogènes non contrôlés. On pense ici à l’éventualité d’une nouvelle crise asiatique, à la crise des émergents, aux tensions dans le golfe…. Pourtant, la croissance devrait quand même être soutenue par l’alignement des planètes (taux d’intérêt bas, baisse du prix du pétrole, taux de change relatif euro/dollar favorable aux exportations). Reste que l’alignement peut encore être rompu d’ici à 2016. A cet égard, on ne peut s’empêcher de penser à la fragilité de la croissance française. Que serait-elle sans cet alignement des astres ? La croissance effective prévue n’est que de 1,2% en 2015,  ce qui signifie que la croissance potentielle française est certainement proche de zéro.

Le taux idéal de 1,6% de croissance nécessaire pour arrêter la progression du taux de chômage est donc loin d’être acquis. D’où la nécessité de créer des emplois aidés.

Mais là encore, l’objectif affiché par François Hollande, finalement proche de notre simulation, reste très ambitieux.

Tout d’abord la création d’emplois aidés repose avant tout sur la dépense publique. François Hollande a certes expliqué qu’il renonçait à respecter le pacte de stabilité, mais peut-on accroître encore le poids de l’Etat qui tangente les 58% du PIB, un record sous la Vème République ?

Enfin quand bien même on les financerait, la création massive d’emplois aidés, qui plus est sous une année, requiert du temps et est sujette aux délais d’ajustement. A l’aune de la chronique des emplois aidés créés lors des 40 dernières années (voir encadré), on peut douter de la faisabilité même de créer ne serait-ce que les 300 000 emplois aidés de notre simulation d’ici à décembre 2016.

 

La chronique des emplois aidés depuis 1974 (source Dares) nous enseigne qu’à certaines périodes, les différents gouvernements ont parfois obtenu des créations massives en l’espace d’un an : 635 000 de 1985 à 1986 (Fabius puis Chirac), 73 000 de 1991 à 1992 (Cresson puis Bérégovoy), 68 000 de 1993 à 1994 (Balladur), 44 000 de 1997 à 1998 (Jospin).

Mais depuis 2006, ce sont plutôt les réductions qui dominent. Lorsqu’elles existent, les créations annuelles sont moins importantes que par le passé. Elles émanent notamment de Raffarin (+ 26 000 de 2005 à 2006), Villepin puis Fillon (+28 000 de 2006 à 2007), et enfin d’Ayrault et Valls (+ 33 000 de 2013 à 2014).

 

Une inflexion du chômage encore et  toujours obtenue par la dépense publique

 

Les quelques simulations qui ont été menées ici (ceteris paribus) montrent que la croissance  économique nécessaire à la baisse du chômage, soit 1,6%, risque de ne pas être atteinte en 2016. Le FMI vient notamment de réviser la croissance française à la baisse, soit 1,3%.

Pour asseoir sa candidature sur le seul critère de l’inflexion du chômage, François Hollande ne pourra donc compter que sur les emplois aidés qui seront lancés d’ici la fin de l’année. Une fois encore, c’est la dépense publique qui servira une (hypothétique) baisse préélectorale du chômage, ainsi que William Nordhaus l’avait théorisé en même temps qu’il le dénonçait.

Une fois de plus, la baisse du chômage, fût-elle préélectorale, ne sera pas le fruit d’une croissance potentielle forte, avec à l’origine des réformes structurelles, jusqu’à présent différées, portant à la fois sur l’efficacité des marchés et de l’Etat.

 

Une éventuelle inflexion de la courbe du chômage serait-elle un « boulevard »  pour la réélection de François Hollande ?

 

Si le retournement de la courbe du chômage se produisait, favoriserait-il automatiquement la réélection du sortant ? A cet égard, les modèles de prévision politico-économiques montrent que la variation (baissière) préélectorale du chômage doit être suffisamment importante pour être ressentie par les agents-électeurs. Ils montrent enfin qu’à côté du chômage, le sortant doit avoir conservé un stock de crédibilité suffisant, mais aussi une forte implantation électorale dans les territoires. Sur des deux derniers points, le handicap de François Hollande reste pour l’heure avéré.

 

Les limites de la manipulation «électorale » de l’économie

 

Enfin, il ne faut jamais se méprendre sur l’utilisation du cycle économique électoral. Pour terminer avec Nordhaus, celui-ci n’a pas développé la théorie du cycle économique électoral (Political Business Cycle ou PBC) pour que les hommes politiques calculent précisément à combien il fallait amener le taux de chômage pour être réélu. Au contraire, il a cherché à montrer que la manipulation du cycle économique à des fins électorales rendait, mandat après mandat,  l’économie d’un pays toujours plus dégradée.

En réalité, en démocratie, la « récompense électorale » ne doit être rien d’autre que le fruit de résultats tangibles et d’une amélioration réelle, mais aussi ressentie, du bien-être des citoyens électeurs. Car au final, ce sont eux qui décident.

 

[i] Lequel se servait de l’argument pour dénoncer la manipulation de l’économie à des fins électorales.

[ii] L’impact réel du 13 novembre 2015 restant toutefois une inconnue

[iii] La variation du taux de chômage = 1.62 -0.25 X TCPIB t, t-1 – 0.12 X Tcho t-1

Si la variation du chômage = 0 et si Tcho t-1 = 10.2 (taux probable en décembre 2015). Alors à l’issue de 2016, TCPIB t, t-1 = [-1.62 + (0.12 X 10.2)] / -0.25 = 1.6

 

[iv] Selon l’équation 2, la variation du taux de chômage = 1,40 -0,25 X TCPIB t, t-1 -0,001116 X Nombre total de contrats aidés. Si la variation du chômage nécessaire à l’inversion = -0,1 et si TCPIB t, t-1 = 1,6 (taux estimé en décembre 2016). Alors, à l’issue de 2016, nombre total de contrats aidés = [-1,4 -0,1 + (0,25 X 1,6)] / -0,001116 = 985 000.

 

[v], [VI] La significativité statistique de ces variables reste toutefois modeste (au seuil de 17% pour les emplois aidés marchands et au seuil de 27% emplois pour les aidés non marchands).

Vœux présidentiels du 31 décembre 2015

 

Bonne année … 2017… ! Un Président déjà en campagne pour la présidentielle ?

 

Véronique Jérôme

 

4 janvier 2016

Edition spéciale "Voeux présidentiels" BFM Business 20h-20h30 (31 décembre 2015)

Un paradoxe temporel : « retour vers le futur »

 

François Hollande semble regarder vers 2017 mais en utilisant ses engagements et propositions de 2012. Ces propositions n’étant toujours pas abouties (comme la situation sur le front du chômage qui peine à s’améliorer) il est normal qu’il les reprenne, à condition de les mener à terme et non pour « climatiser » l’opinion. En 2012, il disait les réformes c’est maintenant, en 2015 le Président annonce encore des réformes, et quasiment les mêmes. 

On approche de la fin du mandat, c’est un peu tard pour des promesses car l’heure du bilan va bientôt sonner.

 

 

Un bilan collé par des contraintes « sparadrap »

 

On ne décrète pas un taux de croissance, et encore moins un taux de chômage !

On peut simplement, quand on est un politique aux responsabilités, s’efforcer de rendre le terrain plus accueillant, et c’est déjà beaucoup.

 

François Hollande a raison de se préoccuper de l’économie car il a été élu sur des promesses d’amélioration de la situation économique (dans ses vœux de 2012 il s’engageait sur une inversion de la courbe du chômage, d’ici un an, disait-il…).

 

Force est de constater que le bilan n’est –pour l’heure- pas à la hauteur des attentes des français. Ils le lui ont fait savoir à l’occasion des élections locales de mi-mandat (municipales de 2014, puis départementales et régionales de 2015) qui ont eu valeur d’élections barométriques. Elles ont été instrumentalisées sous forme d’un vote sanction à destination de l’exécutif national.

Le politologue et statisticien Edward  Tufte (1978) disait « quand on pense à l’économie il faut penser aux élections, quand on pense aux élections il faut penser à l’économie (When you think economics, think elections, when you think elections, think economics) ».

 

C’est ainsi que Bill Clinton en 1992 avait affiché dans son bureau pour ne pas l’oublier : It’s the Economy stupid ! Il ne faut surtout pas oublier l’économie… puisque c’est la clé des élections !

 

Mais là encore, attention à la « manipulation des chiffres» !

 

Il ne suffira pas de présenter de bons chiffres, ou une inversion de courbe, encore faudra-t-il que cela soit durable et ressenti comme une véritable amélioration par les français. Ils devront avoir le sentiment que globalement cela va mieux.

 

 

C’est un peu comme en météo, il y a l’annonce et le ressenti. 20°C sous le soleil paraît plus chaud que 20°C par temps humide. Le contexte global fait la différence ! Pour le chômage aussi, inutile de présenter la statistique des demandeurs d’emploi catégorie A vidée de quelques 500 000 (?) jeunes passés en catégorie D au motif de la formation, si au final rien ne bouge dans l’environnement macroéconomique (plus de croissance, moins de PPO et moins de dépenses publiques…) ou microéconomique (si des freins à l’embauche ne sont pas levés, ou si de nouvelles obligations -compte pénibilité- sont ressenties comme générant plus d’inconvénients que d’avantages …).

 

L’enfer est pavé de bonnes intentions :

Du cycle économique électoral traditionnel au cycle de nature conative expérimenté par François Hollande

 

 

François Hollande tenterait-il de mettre le « couvercle » sur l’économie, pour ne pas assumer son bilan et passer directement en mode « promesses électorales pour 2017 » et enjamber l’année 2016?

 

En affichant de nouvelles intentions  et promesses de réformes, il semble être plus dans le mouvement que dans l’action. Ce qui ressemble plus à une stratégie de communication politique. Dans le texte des vœux, on note cependant: « la France a besoin de mouvement. Elle a besoin d’actions. Elle a aussi besoin d’engagement. » On pourrait imaginer d’abord l’engagement pour l’action, le mouvement étant consubstantiel.

 

Une logique de concours de beauté pour un renouvellement du bail à l’Elysée?

 

La stratégie pourrait être ici, de jouer sur le possible effet de levier issu d’un effet concours de beauté qui s’exprimerait d’abord dans les sondages. Si pour l’heure 3 français sur 4 annoncent ne pas vouloir le même match qu’en 2012 (F. Hollande vs N. Sarkozy), le Président semble croire en sa bonne étoile. Il veut devenir le favori des sondages.

François Hollande, par ses promesses nouvelles chercherait l’adhésion des français. Il serait l’homme providentiel, celui dont on devrait renouveler le mandat pour lui permettre de mener à terme les  réformes promises.

 

Les français finiraient par croire en ses chances et en faire le candidat légitime pour 2017, mais aussi le seul candidat capable de battre à nouveau Nicolas Sarkozy et d’être le rempart face à Marine le Pen (dans l’hypothèse de l’officialisation de leurs candidatures).

 

 

Pourquoi parler d’un cycle économique électoral « conatif » ?

 

Observant que les promesses sont pour l’heure plus nombreuses que les réussites, on peut s’autoriser cette image. François Hollande met l’accent sur les intentions (de réformes…) il s’attache au conatif[1], et laisse un peu de côté le cognitif, c’est-à-dire son bilan économique.

 

Or, dans le cycle économique électoral, les électeurs jugent le sortant sur son bilan économique, c’est pourquoi, pour atteindre ses objectifs annoncés, le gouvernement va manipuler les électeurs en améliorant au moment opportun le chômage et la croissance[2], ou seulement manipuler les outils de politique économique comme la dépense publique ou les impôts[3].

 

François Hollande préférerait donc qu’on le juge sur ses bonnes intentions plutôt que sur un bilan pas assez bon !

 

C’est un peu comme s’il disait aux français : on ne change pas une équipe …qui perd (ou qui n’a pas eu les résultats escomptés).

 

Les entraîneurs vous diront qu’au foot ça ne marche pas comme cela !

 

[1] Au sens intention, comme l’intention d’achat chez Filser et la théorie du comportement du consommateur.

[2] Myopes et rétrospectifs pour William Nordhaus, 1975

[3] Comme chez Alberto Alesina qui considère les électeurs rationnels, non myopes mais en rationalité limitée : au final on ne peut les manipuler qu’une seule fois.

 

Demandeurs d'emploi, taux de chômage et cycle électoral

 

Véronique Jérôme

Bruno Jérôme

 

11 décembre 2015

Baisses d’impôts et cycle électoral depuis 1981: quand la gauche et la droite choisissent leur moment

 

Vendredi 28 août 2015

Véronique Jérôme

Bruno Jérôme

 

En prévoyant « une croissance plus forte en 2016 » François Hollande à annoncé dans la précipitation et sans concertation « qu’il y aura des baisses d’impôt quoi qu’il arrive en 2016 ». Comment ne pas voir dans une telle annonce l’objectif électoraliste à destination des « classes moyennes » (i.e. les personnes gagnant  de 1500 à 4500 euros nets par mois). Il part à leur reconquête, car si elles ont contribué à son élection elles ont aussi vite déchanté en subissant le « choc fiscal » de 2012 à 2014.

Et pourtant, si on l’avait écouté attentivement, on aurait entendu le candidat Hollande répéter en 2011, que (disait-il en substance) partant de 42,5% de prélèvements obligatoires en 2010, grâce aux cadeaux fiscaux concédés aux « plus riches » par Nicolas Sarkozy, la France pourrait aisément encaisser deux points de PPO supplémentaires pour financer une politique de relance keynésienne. Les conséquences de long terme de la crise financière de 2008 et de la crise de la dette souveraine de 2010 n’avaient cependant pas été suffisamment prises en compte par l’actuel Président qui avait a fortiori commis l’erreur de raisonner en économie « fermée ».

Si les gouvernements instrumentalisent les baisses d’impôts, ils ne sélectionnent pas la même période du cycle électoral.

 

Ainsi, les gouvernements de gauche agissent plutôt en période pré-électorale quand les gouvernements de droite opèrent plutôt en période post-électorale.  

Ainsi rappelons les baisses d’impôts sur le revenu initiées par les Premier ministres de gauche Laurent Fabius en 1985, Pierre Bérégovoy en 1992 ou encore Lionel Jospin en 2001 et surtout Laurent Fabius à la manœuvre en tant que Ministre de l’économie et des finances. A chaque fois c’est la gauche de gouvernement « social-libérale » qui a imposé ses vues, mais au prix d’une cassure toujours plus prononcée avec la gauche de la gauche ou la gauche du PS.

A droite, on a plutôt observé des baisses d’impôt sur le revenu post-électorales soit au nom de la rupture avec les politiques keynésiennes conduites jusqu’alors par la gauche comme en 1986, soit tout simplement pour « récompenser » ces électeurs issus des classes moyennes qui ont longtemps assuré le succès de la droite.  Le contre exemple restant toutefois le reniement des engagements de campagne de Jacques Chirac en 1995 (engager de front  réductions d’impôts et réduction de la fracture sociale) qui se sont vite avérés intenables face au mur des déficits sociaux.

Ainsi, on songe aux baisses d’impôt de 1986-1987 consenties pas Jacques Chirac, Premier ministre en cohabitation, à l’occasion de la seule véritable politique de l’offre menée en France (au sens des Supply siders). On pense aussi allègements d’impôts des ménages sous l’égide du Premier ministre de Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin de 2002 à 2004. Puis en 2007, les baisses d’impôts et le « bouclier fiscal » sous le tandem Sarkozy-Fillon dont les effets seront annihilés par  la crise financière de 2008, mais qui permettront néanmoins de ramener le taux des PPO à 42,1% du PIB en 2009 (niveau qui n’avait plus été atteint depuis 1993).

On notera cependant, que la droite a souvent prolongé les baisses d’impôts amorcées par une gauche arrivée en fin de mandat.

 

Dépenses publiques et prélèvement obligatoires en % du PIB

Les baisses d’impôts préélectorales occasionnent-elles des gains électoraux significatifs ?

 

Sur ce point, la théorie des choix publics (d’essence plus micro-économique) et la nouvelle économie politique (d’essence plus macro-économique) sont formelles : l’atteinte des objectifs de politique économique (croissance, taux de chômage, inflation) est plus rémunératrice en voix que la simple manipulation (indépendamment de l’objectif) des instruments de la politique économique (taux de fiscalité, prestations sociales, dépenses publiques, taux d’intérêt). C’est en tous cas le grand acquis des travaux de William Nordhaus au milieu des années 70, pour qui la manipulation de l’économie au service de la baisse du chômage assure (presque) toujours la réélection des sortants. A la fin des années 80, Alberto  Alesina nuancera en montrant que seuls les instruments de la politique monétaire sont a priori manipulables à des fins de réélection, surtout s’ils doivent agir sur les variables nominales comme l’inflation, mais  moins sur les variables réelles comme le chômage. Ajoutons qu’en ce domaine c’est désormais la BCE et l’Europe qui décident privant ainsi les Etats d’une utilisation « nationale » et d’une manipulation « électoraliste » au profit des hommes politiques.

Toutefois, quand bien même une manipulation de l’économie (au sens politiques de relance « surprise » opportunistes) pour faire baisser le chômage serait possible, rien ne garantirait que cette baisse se produise au moment voulu. Mais en dépit de cette limite, les résultats de la lutte contre le chômage restent une donnée fondamentale du vote en France.

Au final, on remarquera que les baisses d’impôts préélectorales de 1985, 1992 et 2001 n’ont rien rapporté à la gauche électoralement. Même si celles-ci elles ne peuvent à elles seules expliquer les défaites qui ont suivi, il ne s’agit en effet pas d’un bon « marqueur » idéologique pour l’électorat de gauche plus porté sur la redistribution. 

François Hollande aurait-il oublié ces expériences malheureuses passées en annonçant une baisse des impôts des ménages pour 2016 ? Une chose est sûre, son annonce risque de piéger son gouvernement et de réveiller les tensions au sein du bloc de gauche à 19 mois de la Présidentielle.

Le Chômage, cet arbitre de l’élection présidentielle

Photo : site de la présidence de la République

Véronique Jérôme-Speziari

Bruno Jérôme

 

Le 30 janvier 2015

A neuf trimestres du premier tour de la présidentielle de 2017, François Hollande bat le record absolu du nombre de chômeurs sous la Vème République avec 3 496 000 demandeurs d’emploi en catégorie A.

 

Néanmoins, dopé par la « représidentialisation » dont il a bénéficié à l’occasion des attentats du début du mois de janvier 2015, le Président sortant attend son heure avec une inversion de la courbe des demandeurs d’emploi, qui, à en croire certaines projections, ne manquera pas de se produire dans la dernière ligne droite menant au premier tour de l’élection présidentielle de 2017.

La situation économique que d’aucun qualifient aujourd’hui d’alignement favorable des planètes (baisse du prix du baril, baisse de l’euro par rapport au dollar, taux d’intérêts bas, nouvelle donne européenne vers plus de relance avec la victoire de Syriza) pourrait contribuer à relancer un Président, qui, quelques mois auparavant, détenait le record d’impopularité sous la Vème République. Certaines voix s’élevaient même pour réclamer des primaires dans les rangs socialistes.

 

Afin d’analyser comment cette situation particulièrement inédite pourrait évoluer d’ici 2017 il nous a semblé opportun d’opérer quelques comparaisons avec les prédécesseurs de François Hollande dans une optique « politico-économique » à travers le « cycle économique électoral » des demandeurs d’emploi depuis 1969. Le chômage (et son évolution) est, et reste, l’un des déterminants fondamentaux du vote lors de la présidentielle en France, et ce, bien au-delà des autres motifs tels que la qualité de gestion de la sécurité intérieure et extérieure de la France.

  1. Les données trimestrialisées des séries ont été harmonisées quand nécessaire (correction du calcul des demandeurs d’emploi en 2007 et 2003; changement de questionnaire en 2013) à l'aide de coefficients de raccordements calculés par les auteurs.
  2. Sur l’axe des abscisses : ELEC = Trimestre de la Présidentielle ELEC t-i = trimestres s’écoulant entre le début de mandat (ex : ELEC-27 ou ELEC-19) et celui qui précède l’élection (ELEC-1).
  3. Les pointillés indiquent les périodes de cohabitation entre un Président et un Premier ministre de la couleur politique opposée. 

 

Le chômage sous le septennat inachevé de Georges Pompidou : pas de danger pour la droite mais…

 

A la mort de Georges Pompidou le 2 avril 1974, la France compte 713000 chômeurs, à son entrée en fonction ce nombre avoisinait les 557 000. Lors du second trimestre 1974, le nombre de chômeurs se stabilisera en baisse à 688 000 chômeurs. Ceci procurera un avantage à la marge non négligeable à Valéry Giscard d’Estaing lors de son match « au couteau » avec François Mitterrand.

 

Valéry Giscard d’Estaing ou la première « victime collatérale » de la montée du chômage sous la Vème République

 

Au troisième trimestre 1974, Valéry Giscard d’Estaing entame son septennat avec 757 000 chômeurs. Lors du trimestre de l’élection de 1981, ce chiffre est passé à 1 877 000. Pourtant après les deux chocs pétroliers, Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre parviennent à maintenir le chômage autour des 1 500 000, mais dans l’année qui précède le premier tour, 300 000 nouveaux chômeurs scellent le sort Président sortant, ce déterminant étant encore plus décisif que les « mauvais » reports du RPR. L’alternance de 1981 est acquise dès lors.

 

Le premier septennat de François Mitterrand ou le triomphe de la tactique politique sur l’économie.

 

Après un bond de 600 000 chômeurs entre mai 1981 et mars 1986, le nombre de demandeurs d’emploi atteint le chiffre de  2 553 000, François Mitterrand perd sa majorité et doit cohabiter avec Jacques Chirac. Le nouveau Premier ministre entame son mandat par une hausse de 123 000 chômeurs. Ce dernier pratique la seule véritable politique de l’offre jamais menée sous la Vème République, mais les effets ne se feront sentir qu’au second semestre de l’année 1987, avec 100 000 chômeurs de moins jusqu’en mai 1988. Mais le Premier ministre sortant (et candidat) ne parviendra pas à mettre en avant ce premier résultat face à François Mitterrand qui vendra aux français le « ni-ni », ni nationalisations ni privatisations. Au second trimestre 1988  la France revient au seuil de 2 500 000 chômeurs, soit le niveau de mars 1986.

 

Le second septennat de François Mitterrand : envolée du chômage, défaite de la gauche aux législatives, puis décrue salvatrice pour la droite en cohabitation. 

 

Sous le gouvernement Rocard, le chômage subit un net reflux (-195 000) jusqu’au déclenchement de la première guerre du Golfe fin 1990. Jusqu’en mars 1993, la récession aidant, le chômage fait un bon de 600 000 demandeurs d’emploi pour s’établir à un niveau de 2 890 000. La gauche est balayée aux législatives de 1993 et Edouard Balladur devient Premier ministre. Sous l’impact d’une croissance négative en 1993, le nombre de demandeurs d’emploi augmente encore de 300 000 unités jusqu’au premier trimestre 1994. Après ce pic, le nombre de chômeurs recule de 250 000 personnes. Edouard Balladur ne sera pas Président, mais son concurrent Jacques Chirac et la majorité sortante bénéficieront pleinement de cette amélioration lors de la Présidentielle en mai 1995.

 

Le septennat de Jacques Chirac : une cohabitation et une remontée du chômage fatales à Lionel Jospin dans la dernière ligne droite.

 

Entre mai 1995 et mai 1997, Jacques Chirac et Alain Juppé doivent renier leurs promesses de campagne (moins d’impôts et réduction de la fracture sociale) sous l’effet d’une politique de rigueur, coûteuse en emploi, mais destinée à réduire les déficits pour qualifier la France dans la marche vers l’Euro. Bilan, 300 000 chômeurs de plus qui coûteront cher à la droite lors de la dissolution de 1997.

Le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, sous l’effet cumulé de la reprise de la croissance mondiale, des efforts budgétaires amorcés par Alain Juppé, d’une certaine libéralisation de l’économie, mais aussi des emplois aidés, enregistrera une décrue du chômage de  890 000 personnes entre mai 1997 et le second trimestre 2001. Cette fois-ci, c’est sûr, Lionel Jospin sera Président. Mais c’est sans compter avec un retournement conjoncturel mal anticipé qui se solde par un rebond du chômage de 200 000 personnes jusqu’au second trimestre 2002. Jacques Chirac, et dans une certaine mesure Jean-Marie Le Pen, vont en profiter. Le nombre de chômeurs s’établit finalement à 2 500 000 au début du second septennat de Jacques Chirac.

 

Le second mandat de Jacques Chirac : une décrue spectaculaire du chômage favorable à  la majorité et au candidat Sarkozy.

 

Le quinquennat de Jacques Chirac commence mal. De mai 2002 au quatrième trimestre 2004, le chômage grimpe à 2 700 000 (+ 200 000). Mais, entre le premier trimestre 2005 et le second trimestre 2007, le nombre de chômeurs va reculer de 600 000 personnes pour atteindre le chiffre de 2 100 000. C’est Dominique de Villepin qui est aux manettes à Matignon, mais c’est Nicolas Sarkozy qui profitera de cette rapide décrue en l’emportant sur Ségolène Royal avec 53% des voix lors de la présidentielle.

 

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy : l’impact des coûts sociaux de deux crises internationales et une dernière ligne droite mal négociée

 

Au premier trimestre 2008, avec 1 985 000 demandeurs d’emploi, Nicolas Sarkozy bénéficie du nombre de demandeurs d’emplois le plus bas jamais atteint depuis le premier trimestre 1982.

Mais à partir de l’automne 2008, la France est frappée de plein fouet par la crise des subprimes qui s’est déclenchée outre atlantique. En 2009, la croissance s’effondre (-2,8%). Sur le marché du travail la sanction est rapide, on compte 593 000 chômeurs de plus entre fin 2008 et le premier trimestre 2010, date à laquelle la France est touchée par la crise de la dette souveraine, cette fois. Le nombre de demandeurs d’emploi est alors de 2 667 000. Le gouvernement Fillon pense alors avoir endigué la situation puisque le nombre de demandeurs d’emploi n’augmente que 26 000 personnes jusqu’au premier trimestre 2011. Mais l’onde de choc d’une nouvelle crise, celle de la dette souveraine, et les effets induits de son traitement par une politique de rigueur soutenue vont provoquer une nouvelle envolée du nombre de demandeurs d’emploi de l’ordre de 250 000 jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 2012 où le nombre de chômeurs s’établit à 2 940 000. D’après les simulations d’ElectionScope fin décembre, le Président sortant avait une chance non négligeable de l’emporter jusqu’au premier trimestre 2011. Par la suite, nous avions établi qu’il conserverait une chance minime (certes dans la marge d’erreur) de reconduction  à condition de ne pas dépasser le seuil de 9,6% pour le taux de chômage. Selon les critères de l’Insee de l’époque, le taux de chômage avait atteint les 9,4% en mars 2012. Si François Hollande l’a finalement emporté avec 51,3% des voix en métropole, le modèle politico-économique avait toutefois prévu un match plus serré que ce que prédisaient les sondages préélectoraux qui lui octroyaient entre 54% et 58% des voix (excepté l’Ifop autour de 52% près du terme). Ajoutons enfin que Nicolas Sarkozy avait fait le choix délibéré de faire une campagne très politique et peu axée sur l’économie. Avec le recul, était-ce un bon choix tactique de sa part?

 

Quid de François Hollande à l’horizon 2017 ?

 

Au début de ce bilan, nous évoquions le fait que François Hollande avait, semble-t-il, plutôt décidé d’attendre que la « conjonction des planètes » et la nouvelle donne européenne, finissent par conduire la France, d’ici deux ans, vers un cycle de croissance vertueux créateur de richesse et d’emploi. A cet égard les réformes économiques d’origine interne semblent bien s’arrêter dès aujourd’hui avec la loi Macron pour dernier acte.

Est-ce un bon pari ? Le pire est-il nécessairement derrière nous ? Et peut-on dès à présent, soit à mi-mandat, se priver de réformes de structure volontaristes ? En la matière, il convient d’être prudent. Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy peuvent témoigner, au combien, que le coût électoral des chocs exogènes, par nature incontrôlés et incontrôlables, peut être très élevé.

 

Pour aller plus loin...

 

Jérôme-Speziari V.et B.Jérôme (2011), Présidentielle 2012: L’économie réelle sera la clé, L’Expansion(n°766, Septembre 2011).

Jérôme B. et V. Jérôme-Speziari (2006), « Prévision de la présidentielle 2007 par candidat», in Lechypre, E. « Sarkozy profiterait de l’embellie de l’emploi », L’Expansion, avril, n°707, p.60.

Jérôme Bruno et Véronique Jérôme-Speziari [2001], « La France réélirait Chirac », in Ils ont trouvé la formule qui donne le résultat des élections, L’Expansion, n°656, 8 au 21 novembre 2001, p.74-75.

Jérôme Bruno et Véronique Jérôme-Speziari [2001], « Le chômage, cauchemar du candidat Jospin », in Etienne Lefebvre, Le Journal du Dimanche, 2 septembre, p.5.

Jérôme Bruno et Véronique Jérôme-Speziari [2001], «Gare au ralentissement économique à gauche», Libération, 23 août, p. 4

Jusqu’où la croissance peut-elle faire réélire un président ?

François Hollande au forum de Davos (source photo : rtl.fr)

 

Le 20 décembre 2014

 

Par Véronique Jérôme-Speziari et

Bruno Jérôme

 

 

François Hollande l’a bien compris, la bataille de l’opinion étant aléatoire, sa réélection en 2017 dépendra avant tout de son bilan. Il peut ensuite parier qu’à la veille de l’élection présidentielle, la situation économique ne pourra pas être pire qu’aujourd’hui et qu’il aura eu du temps pour influencer la trajectoire du taux de croissance, et donc celle du taux de chômage. En un mot, il entend bien surfer sur le "cycle économique électoral" ("Political Business Cycle"), idée que l’on doit à l’économiste américain William Nordhaus en 1975, pour optimiser ses chances de réélection. Cependant, les choses ne sont pas si simples.

 

 

Quel lien entre croissance et élections nationales ?

Si l’on remonte aux législatives de 1973 et à la présidentielle de 1974, on observe que ces deux scrutins se sont déroulés dans un contexte de croissance économique forte (5,8%) pour le premier et confortable (3%) pour le second. Ainsi, il est possible d’avancer que le sortant avait – sauf événement imprévu – toutes les chances de remporter les élections. Ce fut encore le cas pour les législatives de 1978, avec une croissance qui tentait de se rétablir, à 3,8% après un creux à -0,9% en 1975 consécutif au premier choc pétrolier. Cependant, ce rebond ne fut pas durable : anéantie par le second choc pétrolier, la croissance française plafonnait à 1,2% en 1981, ce qui entama les chances de reconduction de Valéry Giscard d’Estaing tout en favorisant l’arrivée de la gauche au pouvoir.

 

 

2% de croissance, un seuil minimum pour être réélu ?

Le contre-exemple de 1986-1988

En observant la chronique des élections sous la Ve République, il semblerait qu’un seuil de croissance minimum de 2% soit nécessaire à la reconduction d’un sortant. Peu ou prou, car en 1986, en dépit de 2,4%, la gauche et François Mitterrand feront l’expérience de la première cohabitation, la droite gagnant les législatives. Cependant, elle ne saura pas capitaliser sur la remontée de la croissance, le pouvoir partagé entre Mitterrand et Chirac ayant peut-être perturbé les électeurs. Qui récompenser ? Le gouvernement de droite ou le président de gauche ? Ils ont majoritairement fait le choix de François Mitterrand, faisant mentir le seuil des 2%, du point de vue des sortants de droite... Et pourtant, en 1988, la croissance s’était redressée à 4,6%. La droite aurait donc dû – sur le papier – gagner la présidentielle ceteris paribus (dans le jargon des économistes : toutes choses étant égales par ailleurs, ou encore, avec la seule référence à ces éléments), mais ce ne fut pas le cas.

 

1993-2012, ça marche

 

Après la crise engendrée par la première guerre du Golfe, la croissance "dévisse" et tombe à -0,9% en 1993, l’année des législatives. La gauche est alors sévèrement défaite. La cohabitation "bis" peut commencer. Lorsque Jacques Chirac remporte la présidentielle de 1995 contre le Premier ministre (et ami de 30 ans) Edouard Balladur et Lionel Jospin, la croissance est repassée à 2,1%, le seuil tout juste nécessaire. En 1997, poussé par les contraintes budgétaires du calendrier de la qualification à la monnaie unique, il fera l’erreur de stratégie électorale qui le conduira à dissoudre l’Assemblée nationale "trop tôt", amenant ainsi la troisième cohabitation. Le président n’a pas su anticiper que la croissance repartirait vigoureusement à l’extérieur, quand il dissout nous ne sommes plus qu’à 1,9%. En laissant le calendrier électoral se dérouler jusqu’à son terme, soit en 1998, Jacques Chirac aurait pu bénéficier d’une croissance à 3,4%, ce qui aurait été suffisant pour une victoire électorale.

2002, Lionel Jospin est le Premier ministre en cohabitation, il est donc à ce titre responsable du bilan économique et doit être considéré comme le "vrai" sortant, comptable de son bilan économique. Le président de droite n’est que le sortant institutionnel. Lionel Jospin pouvait encore "virtuellement" gagner si la situation de 2000, voire de 2001, restait inchangée (avec 3,8% puis 2,1% de croissance), mais il va perdre la présidentielle. C’est Jacques Chirac qui saura profiter de la décélération de la croissance, tombée à 1% en 2002, entraînant un retournement de la courbe du chômage.

En 2007, la croissance repart à 2,4%. Suffisant pour Nicolas Sarkozy, qui profite à plein de la décrue du chômage enregistrée sous Dominique de Villepin. Cependant, les  crises reviennent, obéissant à des cycles de plus en plus courts. C'est la crise financière internationale de 2008, puis celle de la dette souveraine en Europe à partir de 2010, lesquelles ont raison de la croissance. Et en 2012, en dépit d’un rebond (la croissance s’étant effondrée à -3,1% en 2009), le sortant ne peut s’appuyer que sur une croissance atone (0%). Privé de marges de manœuvre, il perd la présidentielle.

 

 

Hollande a raté une fenêtre de tir

Comme nous venons de le voir, les gains électoraux de la croissance sont fortement soumis aux caprices de la conjoncture économique et de la politique internationale. Nul n’est à la merci de chocs extérieurs aux effets récessifs (dans le jargon des économistes, on parle joliment de "chocs exogènes non contrôlés").

Or, François Hollande a peut être manqué une fenêtre de tir, ouverte entre son élection et la fin de l’année 2013, période pendant laquelle la conjoncture mondiale semblait repartir sur le chemin de la croissance. Quitte à être transitoirement impopulaire, il aurait fallu engager d’emblée la réduction des déficits et mettre en place une vraie rationalisation "économique", et non uniquement "juridique", des choix budgétaires, en un mot, des réformes de structure rendant l’Etat plus efficace. Ce qui aurait ensuite ouvert la voie aux baisses d'impôts pour les entreprises mais aussi pour les ménages. Mais aujourd’hui, à trois ans de l’échéance présidentielle, le taux de prélèvement publics obligatoires atteint le niveau le plus élevé depuis l’après-guerre (avec 46,1% du PIB), le poids de l’Etat atteint 57,1% du PIB, sans parler du déficit et de la dette, dans le collimateur de l’Union européenne.

 

 

Le président peut-il croire en sa bonne étoile en 2017 ?

Le président veut croire en sa bonne étoile et dans le retour de la croissance avant avril 2017, mais c’est un pari à la fois risqué et audacieux. Depuis que nous sommes entrés, en 1974, dans l’ère des crises, la France est en moyenne touchée par un choc extérieur tous les cinq ans, et nous sommes à peine sortis du dernier en 2012…

Calculs et compilation des données par Véronique Jérôme-Speziari et Bruno Jérôme ElectionScope

Déni, défi, dédit : en finir avec les effets d’annonces contreproductifs

 

Véronique Jérôme

Bruno Jérôme

 

Parution initiale sur le Blog ElectionScope de FranceTV Info

 

14 octobre 2014

Si, point n’est besoin d’espérer pour entreprendre … comme disait Guillaume d’Orange, force est de constater que la France de 2014 va devoir entreprendre véritablement les réformes pour être en mesure de redonner de l’espoir. C’est de là que repartira, ou ne repartira pas, l’économie française. Il faut en finir avec les annonces, les effets d’annonces, les incantations en tous genres. La technique est usée et peine de plus en plus à produire les effets bénéfiques attendus. Prévoir un déficit budgétaire limité (mais encore excessif pour 2015), via notamment une prévision de croissance (à 1%) que nombre d’observateurs jugent trop optimiste ne suffira pas.

 

 Enseignements pour 2015 

 

Déni

On peut plus faire mine d’ignorer la gravité de la situation en envoyant des signaux aux français comme l’attente d’une inversion de la courbe du chômage, ou les annonces de nombreuses réformes … systématiquement recadrées.

 

Défi

Toutes ces annonces sonnent comme autant de défis à l’Union Européenne qui réclame beaucoup plus à la France, et qui attend surtout des résultats.

Le projet de budget pour 2015 doit être envoyé à la commission européenne le 15 octobre, et on semble croire que le président sortant José Manuel Barroso ne voudra pas retoquer le budget français. Mais le pourrait-il vraiment ? (voir notre précédent post http:// www  Et si la France faisait des « déficits sans pleurs ? » 30/09/2014). La France étant souveraine en matière budgétaire, en l’absence d’une Europe totalement fédérale, il n’y a donc pas de dédit à attendre d’un Manuel Valls qui a dit « n’accepter de leçons de bonne gestion de personne » car « c’est nous qui décidons de notre budget » ajoutait-il encore.

 

Dédit ?

Mais peu de temps après, Michel Sapin, après avoir juré que rien ne changerait (pas d’économies supplémentaires et pas de nouvelles hausses d’impôt) semble revenir en arrière, on le dit prêt à « ouvrir la porte à une modification du budget » (selon Reuters). La politique tango est toujours en vigueur !

Une fois de plus la France et les français risquent de faire les frais d’un certain aveuglement du pouvoir politique, aveuglement doublé d’une certaine inflexibilité. Le budget prévu pour 2015, si rien ne change, c’est-à-dire sans retour inopiné de la croissance venue d’outre atlantique, et/ou sans réduction de la dépense publique, risque fort d’être trop optimiste et pourrait une fois encore s’achever sur un déficit fin 2015 supérieur aux prévisions.

 

On ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ! (Lincoln)

Il faut arrêter de croire que l’on peut facilement, impunément et discrètement climatiser l’opinion. Si la rationalité –une forme de clairvoyance - ou le simple bon sens animent les individus, de telles entreprises de manipulation sont peine perdue. Manipulation, le terme peut sembler excessif et évoquer des usages que seuls les dictateurs affectionnent. Ici, il est à prendre au sens de la politique économique, lorsque que le pouvoir, qui décide des mesures, se croit aussi apte à décider jusqu’aux résultats, convaincu qu’il est de pouvoir influencer les agents. Il semble croire en l’autoréalisation de ses annonces, estimant qu’il suffirait d’évoquer la mise en place future d’une réforme pour en obtenir les effets positifs et incitatifs nécessaires à une modification des comportements dans le sens attendu. Mais qui peut encore y croire ? Donner, par exemple, un supplément de pouvoir d’achat à des agents qui développent une aversion au risque - croissante et légitime en univers de plus en plus incertain- ne conduit pas à plus de consommation et plus de croissance. Le multiplicateur est grippé, les agents frileux préfèrent la consommation future c’est-à-dire l’épargne (ici) de précaution, en vue de lendemains qui déchantent. Ils ont appris des expériences passées et de leurs erreurs.

N’oublions pas l’adage de Lincoln, posant qu’ « on peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps.» !

 

L’écueil du « paradoxe de la crédibilité »

Le gouvernement français pourrait fin 2015 buter sur le « paradoxe de la crédibilité » ( D. Goyeau). Ce concept énonce que c’est lorsqu’il en a le plus besoin, c’est-à-dire lorsque la situation économique dégradée impose de prendre des mesures plutôt impopulaires, que malheureusement, le gouvernement n’est pas crédible. Et paradoxalement, lorsqu’il est crédible, la situation économique est souvent bien orientée, de sorte qu’il n’a pas à entamer sa crédibilité.

Ce scenario pourrait fort bien se produire en France, reste à vérifier le degré de rationalité ou de clairvoyance des français et leur capacité à accepter des mesures de rigueur. Ceci suppose aussi un certain degré d’altruisme de leur part, car souvent ceux qui contribuent (via des hausses d’impôts par exemple) ne sont pas toujours ceux qui bénéficient de la hausse de la dépense publique.

 

Et si la « politique du pire » était la meilleure option à disposition du gouvernement sortant en vue de 2017 ?

Mais lorsque le budget dérape et que le gouvernement laisse filer les déficits, la dépense publique accrue fait des heureux au sein de son électorat captif et le pouvoir peut ainsi trouver un certain soutien politique. Cette hypothèse est renforcée par la prise en compte du calendrier électoral, plus l’on s’approchera de 2017 et plus le gouvernement sera tenté par un certain laxisme budgétaire.

Que cette pratique soit efficace électoralement parlant, rien n’est assuré, en cas d’inefficacité, c’est la politique du pire qui s’exprimerait alors. Cette proposition, bien que teintée de cynisme, n’en est pas moins envisageable. Ainsi, le sortant (François Hollande ou Manuel Valls) maximiserait ses chances pour 2022, étant donné le lourd fardeau qu’il laisserait à une opposition, victorieuse dans les urnes en 2017 mais avec un défi encore plus difficile à relever.