Le vote blanc "stratégique" du FN et le mauvais positionnement électoral de la majorité ont été les clefs d’un scrutin qui n’était pas perdu d’avance

Par Bruno JERÔME et Véronique JERÔME-SPEZIARI

Le 10 mai 2012

 

Une prévision scientifique exprime toujours ce qui pourrait être et non pas ce qui sera.

 

Le 6 mai 2012, en obtenant 51.62% (51.3% en métropole) des suffrages au second tour, F. Hollande a obtenu le second score le plus serré de la V° République avec 0,8 point de plus que V. Giscard d’Estaing en 1974.

Autre fait marquant, minoritaire au premier tour avec 43.7% des voix la gauche l’emporte au second tour en réalisant un gain de 7.9 points. Or, depuis 1965, la gauche n’avait jamais remporté la présidentielle sans atteindre au moins 49% des voix au premier tour comme en 1981 et en 1988. Du strict point de vue de l’arithmétique électorale, la gauche a donc bénéficié du renfort d’électeurs qui s’étaient portés sur le centre et le Front National.

 

Du point de vue de la stratégie électorale cette fois, alors que de son côté la gauche restait unie, la droite républicaine devait faire face à la menace du vote blanc et de l’abstention de la part du FN et du Modem.

Après avoir prévu la possibilité d’une victoire de la gauche jusqu’en octobre 2010 notre modèle politico-économique a par la suite généré la probabilité d’une victoire de la droite (voir nos articles de l’Expansion) jusqu’en mars 2011, avec un score serré au second tour de 50,2% des voix. Ce résultat émane pour l’essentiel de la décrue du taux de chômage jusqu’au second trimestre 2011, élément à peine défendu par la majorité, avant le rebond du troisième trimestre 2011. Il réside aussi dans la stabilité et la structure de la démographie électorale de certaines régions.

De leur côté, les huit grands instituts de sondage donnaient en moyenne le candidat de gauche à 54% des voix au 4ème trimestre 2010, puis à 60% en octobre 2011 et enfin à 58% en mars 2012. En avril, avant le premier tour de l’élection, la gauche était estimée en moyenne à 54,5% des suffrages au second tour.

Les simulations du modèle de premier tour approchent très correctement le bon rapport de force droite/gauche (soit 54/46). Par ailleurs, ce bon rapport de force a été bien prévu dans 16 régions sur 22 (en Aquitaine, Auvergne, Midi-Pyrénées, Nord Pas de Calais, et Poitou Charente le score de la droite lato sensu est sous estimé tandis qu’en Corse le score de la droite lato sensu est surestimé). On rappellera que la prévision du vote au premier tour repose notamment sur des déterminants économiques (variation régionale du chômage), la crédibilité de l’exécutif (popularité du président), les élections passées (législatives au niveau de la région) et les zones de force régionales des grandes familles politiques.

En revanche, le modèle de second tour n’intègre que des éléments relevant de l’arithmétique électorale, dont le score simulé du premier tour et les reports de voix « historiques » régionaux au sein des deux grands blocs droite/gauche. L’accent est notamment mis sur les reports de voix du centre et du FN.

En ce qui concerne le second tour de la présidentielle, compte tenu de la marge d’erreur de +/- 1.7, l’ultime simulation politico-économique, dont la mesure optimale se situe à la fin du trimestre qui précède l’élection (soit en mars 2012), situait Nicolas Sarkozy dans une fourchette [48.5-51.9] des voix en métropole. Le score réalisé de 48,7% en métropole pour le président sortant se situe donc dans la marge d’erreur. En valeur absolue, la prévision se situe même à 1.5 point du résultat réel mais du mauvais côté de l’épaisseur du trait.

De leur côté, dans la troisième semaine d’avril 2012, les sondages de second tour sont à 3.5 du résultat réel en valeur absolue, mais certes orientés dans le bon sens, ceci après avoir surestimé la gauche en moyenne de 7.4 points au 4ème trimestre 2011, puis de 5 points au 1er trimestre 2012.

A noter qu’ici encore, le second tour est correctement prévu par le modèle dans 16 régions sur 22 à l’exception de Languedoc-Roussillon, la Basse Normandie, la Bourgogne, Pays de la Loire, l’Ile de France et de la Corse. Reste à expliquer un écart entre prévisions et réalisations parfois surprenant.

Rapport de force droite/gauche au second tour 2012 dans les Régions

 

De là, quatre questions sont posées :

 -                     Le comportement de participation des électeurs a-t-il changé par rapport aux scrutins passés ?

 -                     D’un point de vue de la stratégie électorale, comment expliquer que le bloc droite + centre ait vu son potentiel électoral chuter de près de 9 points et terminer au-dessous des 50% entre les deux tours alors que la victoire de N. Sarkozy restait arithmétiquement possible.

 -                     Les sondages préélectoraux ont-ils joué un rôle  sur les comportements de vote (présence d’un « underdog effect »)?

 -                     D’un point de vue technique : quelles-sont les variables manquantes qui auraient pu mieux expliquer le second tour  et conforter la prévision? On pense notamment à une variable expliquant les ressorts de l’anti-Sarkozysme.

 1)                 Le comportement de participation des électeurs par rapport aux scrutins passés : le rôle d’une utilisation stratégique du vote blanc par le FN.

 Un modèle de simulation indique toujours ce qui pourrait arriver en vertu d’hypothèses dont la stabilité a été éprouvée dans le passé. Cependant, plusieurs éléments de campagne, très proches du scrutin, comme le choix de vote personnel de F. Bayrou, celui d’anciens ténors du centre droit ou de la galaxie chiraquienne n’étaient pas par définition dans le modèle. Il en va de même de l’utilisation stratégique du vote blanc par le Front National.

 A cet égard, les bulletins blancs et nuls ont été multipliés par 3 entre les deux tours de la présidentielle pour atteindre plus de 2 millions (un record inégalé sous la Vème République) et, en observant la cartographie postélectorale de plus près, ils semblent provenir pour l’essentiel d’électeurs FN : on constate une corrélation forte entre scores les élevés du FN (> à 20%), un fort taux de bulletins blancs (> à 7% des votants) et les territoires notamment ruraux à taux de chômage (> à 10%).

 - Livrons-nous au calcul suivant :

 Posons par hypothèse que les votes blancs sont identiques pour les 2 tours de la présidentielle (environ 600 000).  Il vient un « surplus de 2000000 – 600000 = 1 400 000 votes blancs. En réattribuant à N. Sarkozy ne serait-ce qu’un peu plus du tiers de ces votes blancs, on obtient suffisamment de voix pour atteindre 50,2%. Le score annoncé par le modèle était atteignable pour le sortant.

Reste qu’il faut ensuite aller plus loin dans l’explication du gain spectaculaire des voix de gauche entre les deux tours. Cette explication réside assurément dans la stratégie de campagne du président sortant.

 

2)                 Déperdition des voix à droite et stratégie électorale

 Nous avons mentionné que dans cinq régions la déperdition du bloc droite + FN était si spectaculaire qu’elle a mis en échec le score régional prévu. Si l’on met de côté la Corse toujours difficile à prévoir, on observe que la Pays de la Loire, Basse Normandie, la Bourgogne et étaient jusqu’à présent trois zones de force « historiques » de la droite. Le bloc de droite recule également de manière inédite en Ile de France. Languedoc-Roussillon est quant à elle une zone de force partagée par la droite et le FN.

 Au total, on remarquera que Basse Normandie, Pays de la Loire et l’Ile de France ont tours été des bastions de centre-droit. La Bourgogne et Languedoc-Roussillon ont toujours été des lieux d’implantation de la droite libérale.

 Dans au moins trois régions (en écartant la Bourgogne et Languedoc-Roussillon) l’inversion du rapport de force droite/gauche émane d’une fuite de l’électorat centriste.

 La stratégie de « droitisation » de Nicolas Sarkozy n’a donc pas forcément porté ces fruits. On l’explique aisément par la théorie de l’électeur médian de Downs-Hotelling, en tenant compte du fait que sous la Vème République au premier tour on rassemble son camp et au second tour on tente de capter l’électorat médian.

 Si l’on observe la distribution des votes au premier tour, le médian absolu (individu qui a autant d’électeur sur sa droite que sur sa gauche) est dans l’électorat de François Bayrou. Le médian de droite (le total droite + centre étant de 56%) est dans l’électorat de Nicolas Sarkozy tandis que le médian de gauche (dont le total est de 44%) est dans l’électorat de François Hollande. Compte tenu de la distribution des voix, le médian de droite est à 22 points du médian absolu tandis que le médian de gauche est à 28 points du médian absolu, soit beaucoup plus loin. Nicolas Sarkozy aurait dû donc logiquement tenter de capturer les électeurs lui permettant de franchir 50% des voix en allant vers le centre. On pourrait rétorquer cependant qu’un l’électorat FN à 17.9% des voix est décisif justifiant ainsi une « droitisation » de la campagne sur la question des valeurs et les frontières et moins sur l’économie. On rappellera pourtant le lien étroit entre les zones de force du FN et le niveau élevé du chômage.

 Or si l’on en croit l’enquête préélectorale IFOP en rolling (la plus proche du résultat final parmi les sondeurs), sur 100 électeurs lepénistes ayant l’intention de voter Hollande ou Sarkozy, le 24 janvier 2012, 71% votaient Sarkozy et le 4 mai après trois mois et demi de campagne ce taux progressait à 77%…seulement. Cette stratégie n’a eu que peu d’impact en termes de gains électoraux mais le problème c’est certainement son coût.

 

 3)                 Le rôle des sondages préélectoraux

 Sur ce point, une question vient à l’esprit : les sondages préélectoraux ont-ils influencé le vote, et en particulier, ont-ils démobilisé (les politologues anglo-saxons parlent d’underdog effect) les électeurs de droite dès le premier tour en affichant des scores frisant parfois les 60% pour François Hollande voire encore 55% entre les deux tours ? Le résultat eut il été changé si les sondages avaient annoncé un score plus resserré d’emblée depuis la fin du mois de décembre 2011 ? Les tests complémentaires que nous mènerons, devront infirmer ou confirmer cette hypothèse.

 4)                 Les facteurs explicatifs manquants du modèle de second tour

 La psychologie et l’image des candidats constituent certainement un manque et une piste de développement ultérieure. Cependant l’anti-Sarkozysme ne suffit pas à lui seul pourquoi la droite a échoué au second tour.

 Par ailleurs le fait que le modèle ait produit un résultat proche de la réalité en valeur absolue et annoncé une compétition serrée plus d’un an avant l’échéance rend délicate une modification en profondeur des équations. Reste à tester tous les éléments susceptibles d’améliorer les qualités prédictives du modèle dont l’image des candidats.