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Prévision politico-économique des départementales 2015

Logique et méthodologie du modèle agrégé

 

Méthode et données

 

Les données économiques, électorales, politiques, utilisées pour tester (méthode de régression par les Moindres Carrés Ordinaires) les équations des différents modules couvrent la période 1961-2011, soit celle des 17 cantonales ayant eu lieu sous la Vème République.

Pour la prévision nous avons retenu les données suivantes :

  • Variation du taux de chômage de + 0.3 points sur un an[1] arrêtée à 3 mois des départementales,
  • Satisfaits (Ifop JDD) du Président : 17% au mois de décembre 2014,
  • Score de l’opposition lors de la dernière élection (Européennes 2014) ayant précédé les départementales 2015 : 61,6%
  • Score du FN lors de la dernière élection (Européennes 2014) ayant précédé les départementales 2015 : 24,87%
  • Pourcentage de présidences de conseils départementaux pour l’opposition en 2011 : 41%
  • Taux de participation projeté : 45% (hypothèse de travail)

 

Logique du modèle et nouveautés

 

Le modèle testé s’inscrit dans l’esprit du modèle des cantonales élaboré par Jérôme et Lewis-Beck en 1994 présenté dans l’article « Is Local Politics Local ? French Evidence » (voir http://link.springer.com/article/10.1023/A:1006910222585#page-1). Le propos était de montrer que les cantonales, peuvent constituer en dépit des apparences, de véritables élections barométriques non dénuées de sens national.  Dans certains cas, lorsqu’elles sont placées à mi-chemin et plus dans le cycle des échéances nationales, elles peuvent s’avérer prédictives. Ce fût le cas pour la présidentielle lors des cantonales de 1973, 1979, 1994, 2001 et 2011 et pour les législatives, lors des cantonales de 1961, 1964, 1973, 1985 et 1992. On mentionnera aussi les cantonales de 1967 et de 1976 qui anticipent la forte poussée de la gauche aux législatives même si elle perd de justesse. De leur côté, les cantonales de 1970, 1982, 1988, 1998, 2004 et 2008 ont plutôt le statut d’élections de début de cycle.

Enfin, ce modèle pionnier indiquait clairement que les cantonales étaient souvent un vote « contre » et donc un scrutin favorable à l’opposition. D’où l’idée de modéliser le vote de l’opposition de droite ou de gauche en choisissant une forme agrégée. Il se trouve à cet égard que les meilleures variables explicatives, puis prédictives, du vote d’opposition sont la variation du taux de chômage et la crédibilité de l’exécutif.

L’esprit du modèle est aujourd’hui conservé, mais nous l’avons rénové afin de mieux prendre en compte l’évolution du paysage politique depuis 1985, et en particulier la montée significative et  progressive du vote Front National. En 1982, le FN n’avait présenté que 62 candidats aux cantonales.

Ainsi, les prévisions politico-économiques des départementales de 2015 ont été générées à partir d’un modèle économétrique agrégé (au niveau national) comportant désormais 6 modules (M1 à M6) :

  • M1 Fonction de vote pour l’opposition aux cantonales (puis départementales) au 1er tour,
  • M2 Fonction de transformation des voix en sièges (tour 1 + tour 2)
  • M3 Fonction de transformation du pourcentage de sièges en pourcentage de présidences
  • M4 Fonction de vote pour le Front National (FN) au 1er tour
  • M5 Estimation du taux de maintien des candidats FN au 2nd tour
  • M6 Estimation du taux de triangulaires imposées par le FN au second tour
 

[1] Estimation provisoire : le « vrai » chiffre du quatrième trimestre 2014 sera publié par l’Insee le 5 mars 2015.

 

La prévision des départementales 2015 par le modèle ElectionScope : un bilan

 

Samedi 4 avril 2015

 

Véronique Jérôme

Bruno Jérôme

 

 

Sur La France métropolitaine, la simulation en voix du modèle ElectionScope donnait avant le premier tour 36,2% des voix au bloc de gauche, 33% au bloc droite + centre et 30,8 au FN. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, la gauche totale obtient 36,7% des voix contre 36,6% à la droite et au centre et enfin 25,3% au FN. La prévision préélectorale de la gauche était donc réaliste, de même que le rapport de force droite/gauche lato sensu. Néanmoins la prévision a sous-estimé la droite et le centre de 3,6 points et a surestimé le FN de 5,5 points.

Tableau 1

Le modèle politico-économique des départementales en données désagrégées est élaboré moyennant une participation estimée de l’ordre de 43,5% ce qui place la barre pour se qualifier au second tour à 28,76% des exprimés. Au final, la participation du premier tour sera de 50,17% ce qui réduit la barre de qualification à 24,8% des exprimés. Dès lors, on devait s’attendre à ce que les binômes de gauche, d’ailleurs forts divisés entre eux aient moins de difficultés à se qualifier en vue du second tour. Mais dans le même temps, le FN n’a pas profité pleinement de cet abaissement du seuil de qualification puisqu’il a enregistré un score global (moins fort qu’attendu) de 25,3% des voix. Il n’en reste pas moins qu’il a pu se maintenir dans 55,5% des 1995 cantons de métropole, avec de fortes disparités locales d’ailleurs. Au sein de ces maintiens, on compte 75,35% de duels et 24,65% de triangulaires. Cependant, sur les 273 triangulaires disputées, le FN n’en remporte que 5 et sur les 834 duels, l’Extrême droite n’en remporte que 28. La stratégie du « ni-ni » n’a donc pas été appliquée telle que Nicolas Sarkozy le souhaitait. Dans certains cas, lorsque leur candidat "préféré" a été éliminé, notamment dans les zones où la droite modérée domine, certains électeurs UMP, UDI ou MoDem (plus logiquement)   ont en effet "sauvé" la gauche face au FN. Ce phénomène est cependant d'une ampleur moindre que le Front Républicain exercé par les électeurs de gauche qui ont souhaité renforcer la droite au détriment du FN lors de duels de second tour.

 

De son côté, le modèle ElectionScope (Tableau 1), tout en anticipant les grandes tendances générales, c’est à dire une vague bleue  et une progression significative du FN, a surestimé le nombre de cantons gagnés par la droite (67,8% de victoires prévues contre 59,29% en réalité) et le FN (5,36% de victoires prévues contre 1,65% en réalité). L’écart prévu-réalisé dépend en grande partie de la surestimation du vote FN par le modèle et de l’hypothèse de travail choisie pour la participation.

 

On soulignera toutefois le réalisme, longtemps à l’avance, de la prévision du taux de maintien des candidats FN ainsi que celui de la proportion de duels et de triangulaires. Il existe cependant un écart prévu-réalisé, imputable certes à l’hypothèse de participation, mais aussi au manque de recul sur un mode de scrutin nouveau tenu de surcroit sur l’ensemble des cantons, et non plus par moitié comme précédemment. Ajoutons enfin qu’il faudra tenter de modéliser à l’avenir les stratégies de report des voix des électeurs en cas de triangulaires ou de duels avec le FN, stratégie très variable par ailleurs selon les territoires et les zones de force des formations politiques.

 

Carte 1

En ce qui concerne la prévision du troisième tour, autrement dit la désignation des présidences, le modèle désagrégé départemental préélectoral avait clairement annoncé une vague bleue de très grande ampleur.

 

Globalement, le modèle avait anticipé 84,2% des présidences de département (Tableau 2 et Carte 1), soit 80 cas sur 95 en métropole. Au sein de cet ensemble le modèle a prévu 97,5% des cas de maintien à droite et 88,9% des cas de maintien à gauche. En revanche il n’avait prévu que 67,5% des basculements à droite, ce qui n’est pas si mal pour un modèle économétrique. Le modèle ne peut en revanche pas anticiper la mauvaise stratégie d’alliance à droite, dans certains cas certes minoritaires, où le total UMP+UDI dépassait le FN, mais où les deux formations avaient décidé de s’affronter au premier tour, provoquant ainsi leur élimination. Le phénomène n'est donc pas exclusif à la gauche.

 

C’est ainsi que le modèle avait prévu à tort le basculement de la Meurthe-et-Moselle, de la Dordogne, des Landes, de l’Ille et Vilaine, de la Loire Atlantique, des Pyrénées Orientales, du Pas-de-Calais, de Val-de-Marne, de la Haute-Saône, de la Gironde, du Lot et Garonne et du Puy de Dôme. A noter que le modèle mis à jour entre les deux tours maintenait à gauche la Gironde, le Lot et Garonne et le Puy de Dôme[1].

 

En revanche, parmi plusieurs basculements « symboliques » d’une vague bleue ont été anticipés parmi les 25 correctement prévus : la Corrèze, la Creuse, les Deux-Sèvres, l’Allier, la Saône et Loire, le Doubs, le Territoire de Belfort, l’Essonne, le Nord, les Bouches du Rhône, la Seine Maritime et le Vaucluse (au bénéfice de l’âge).

 
Tableau 2

Au final, on retiendra que cette première tentative d’une modélisation en données désagrégées des départementales s’avère très prometteuse. Il nous reste à mieux prendre en compte plusieurs déterminants exprimant la fragmentation électorale au premier tour, les stratégies de report de voix des électeurs entre les deux tours. Mais au-delà, il nous faut encore travailler, et nous avons commencé il y a longtemps, sur la modélisation du vote FN et sur celle de la participation dans un but prédictif. Sur le dernier point, jusqu’à présent, les modélisateurs ont plutôt trouvé tout et son contraire, c’est dire à quel point il faut encore innover. Ce que nous ne manquerons pas de faire.

 

 

[1] La mise à jour du modèle entre les deux tours corrige la prévision initiale dans quelques cas Gironde, Lot-et-Garonne, le Puy de Dôme, Ardèche, Côtes d’Armor. Mais cette mise à jour « dégrade » la projection initiale du Finistère, de la Seine-St Denis, de la Seine Maritime et du  Vaucluse. Au final la mise à jour produit toujours 84,2% de cas bien prévus. Dont pas de gains significatifs et tout au plus quelques signaux sur certains basculements ou maintiens.

Second tour des départementales 2015 :

Toujours la vague bleue … avec quelques surprises possibles au nord et au sud

 

Dernières mises à jour des simulations du modèle ElectionScope

 

 

Vendredi 27 mars 2015, 19h 30

 

Véronique Jérôme

Bruno Jérôme

En France métropolitaine, le premier tour est marqué par deux faits notables

  1. L’abstention à 49,7 % a été plus faible qu’attendue (autour de 57%, avec un petit fléchissement dans les derniers sondages) ce qui indique un léger sursaut de mobilisation, plutôt de la part des « perdants annoncés ». C’est la preuve de l’expression de ce que l’on nomme un  underdog Effect quand l’annonce de la défaite remobilise.
  2. La vague « bleu marine » annoncée dans de nombreux de sondages ne s’est pas formée. On a plutôt observé l’émergence d’une vague bleue comme l’avait anticipé ElectionScope®.

A l’issue de ce premier tour, nous avons tiré de notre modèle une simulation définitive pour le second tour, ce qui confirme la tendance du premier tour et donc la vague bleue. On peut par ailleurs prévoir qu’il n’y aura pas de vague bleu marine. Le FN devrait néanmoins confirmer sa percée, voire l’accentuer dans certains départements, mais sans pour autant atteindre la majorité absolue. Il pourrait néanmoins obtenir une majorité relative dans le Pas de Calais et dans le Vaucluse.

 

Reste à envisager les « symboles », ces départements que la gauche pourrait perdre ce qui prendrait un sens plus que local. Notre simulation envisage ainsi :

 

  •  la perte de la Corrèze comme un camouflet pour le Président Hollande, car cela pourrait envoyer le signal que la droite entre en phase "reconquête".
  • Quant à la probable défaite de la gauche dans l’Essonne, celle-ci affectera non seulement le Premier ministre mais aussi l’ancien Président du département , Jérôme Guedj. Ce dernier classé « frondeur » car souvent en marge du courant « loyaliste » fait pour l’occasion cause commune avec Manuel Valls. On peut s’attendre à une confortable majorité de la droite sur la gauche, et peut-être un canton FN.

Autre symbole fort, car c’est un bastion historique de la gauche (depuis 1976), la chute possible des Landes tenues de façon quasi-ininterrompue depuis 1982 par Henri Emmanuelli.

  • La chute des derniers départements communistes : l’Allier et le Val de Marne les deux départements encore tenus par le PCF, qui risquent de tomber à droite. Pour le premier la probabilité est forte, pour le second le match risque d’être serré avec cependant un possible avantage pour la droite, qui ne peut pas espérer mieux, qu’une stricte majorité absolue.
  • Si l’on peut s’attendre à ce que le Nord bascule à droite, la gauche étant laminée , pour le Pas-de-Calais il pourrait ne pas y avoir de majorité autre que relative et plutôt pour le FN pour qui on peut envisager une avance certaine.
  • Le FN pourrait aussi obtenir une majorité relative dans le Vaucluse. C’est le seul département avec le Pas-de-Calais où il risque de s’affirmer aussi largement. Cela pourrait être interprété comme ses « conquêtes symboliques ».
  • des majorités relatives sont envisageables à droite dans l’Aisne, la Somme, la Meurthe et Moselle, la Haute Saône, ainsi que dans le Tarn, les Bouches du Rhône et les Pyrénées orientales.
  • Pour sa part, la gauche risque de passer de façon serrée dans le Lot et Garonne et en Haute Corse.

Enfin, si avant le premier tour la gauche semblait pouvoir décrocher le Gard à l’issue d’un match serré, les résultats du 22 mars laissent plutôt augurer une issue sans majorité claire (seul cas).

En revanche la victoire risque se dessiner à l’issue d’un duel serré :

  • pour la gauche dans le Tarn et Garonne et pour la droite dans :  le Finistère, l’Ille et Vilaine, l’Isère, la Drôme, la Creuse, le Territoire de Belfort et le Val de Marne.

 

 

Que faut-il attendre au soir du 29 mars ?

 

Au final, on devrait pouvoir confirmer que la gauche ne sera pas en mesure de conquérir un seul nouveau département, la droite et « les centres » pourraient faire basculer 41 départements (cf : nos simulations). Deux cas (la Dordogne et la Seine St Denis) restent incertains.

 

Ainsi, s’il fallait risquer un pronostic, conformément aux résultats du modèle ElectionScope®  mis en perspective des résultats du premier tour, on pourrait avancer qu’à l’issue du second tour, la droite pourrait détenir jusqu’à 73 départements (soit 77% du total métropole) et la gauche –au maximum- 17 départements. De son côté, le FN pourrait obtenir une majorité relative dans deux départements. Reste à ajouter trois cas spécifiques, la Seine-Saint-Denis et la Dordogne (incertains) puis le Gard où aucune majorité claire ne parait émerger (7 à gauche, 8 à droite et 8 au FN).

 

 

Certains « troisièmes tours » s’annoncent donc d’ores et déjà « mouvementés » pour désigner les Présidents des assemblées départementales, comme ce fût le cas jadis à l’issue des Régionales de 1998.

 

Bilan de nos simulations préélectorales (modèle agrégé et modèle départemental)

 

(a) Le premier modèle ElectionScope®  réalisé dans une perspective globale (résultats communiqués dès le 21 février 2015 dans Good Morning Week-end sur BFM Business (- Podcast -) avait estimé le potentiel électoral moyen au premier tour pour le bloc de droite [Droite + Centre (UDI + MoDem) + FN]  autour de 58%, dont 25,8% des voix pour le Front national ; le bloc des Gauches étant mesuré autour de 42 %.

 

(b) Repris en version désagrégée, modèle ElectionScope ®   

en données départementales annonçait une vague bleue mais pas bleu marine (site de BFM TV) avec un bloc de l’opposition au sens large approchant les 64% (dont 33% pour la droite et les « centres » et 30.7% pour le FN) et à peine plus de 36% pour la gauche au sens large. L’équation de vote du FN a surestimé son score définitif tout en permettant de fournir une image réaliste de l’ordre d’arrivée des grands blocs politiques.

 

(c) Il en est ressorti un possible maintien du FN dans un peu plus de 48% des 1995 cantons de la métropole au second tour, lui permettant ainsi de décrocher théoriquement 107 cantons sur l’ensemble des deux tours. En prenant une hypothèse d’abstention moyenne frôlant les 57%, on en déduisait aussi un grand nombre de duels possibles (651, soit un peu plus des 2/3 des 970 cas prévus de maintien du FN au second tour) et un peu moins d’un tiers de triangulaires (319 cas). Quant à la gauche, les résultats des simulations envisageaient qu’elle ne parviendrait à décrocher que 535 cantons à l’issue des deux tours, bénéficiant au passage des triangulaires dans 110 cantons.

Au final, nous envisagions une vague bleue pour la droite et « les centres » avec 1353 cantons gagnés

 

(d) La simulation du troisième tour des départementales suggérait que la droite serait en mesure de présider 76 départements au maximum, soit jusqu’à 80% des départements, c’est-à-dire deux fois plus qu’à l’issue des dernières cantonales de 2011. De son côté, la gauche qui « contrôlait » environ 60% des départements, devait être en mesure de conserver 17 départements au maximum.

Ainsi, la carte simulée des départements donnait avant le premier tour : 22 basculements à droite, 40 départements stables à droite, 8 matchs serrés avec un avantage à droite contre 9 avec un avantage à gauche, 8 départements stables à gauche, un département (Gironde) avec une majorité relative à droite, 5 cas incertains et 2 cas (Bouches du Rhône et Vaucluse) sans majorité claire.

 

La force des symboles … joue finalement dans les deux sens. Plutôt positif pour le FN qui confirme sa montée en puissance ; plutôt négatif pour la gauche qui, quand à elle, perd des bastions historiques…

 

Enseignements de la mise à jour des données de l’entre-deux tours

 

A l’aune des résultats du premier tour, la participation (50,3%), plus forte qu’attendue, a déplacé le seuil à atteindre pour accéder au second tour. Fixé à 12,5% des inscrits, ce seuil devient 24,85% des exprimés avec une abstention de 49,7% (contre 29% en cas d’abstention à 57%).

 

Le seuil moins sévère a accru le nombre de maintiens possibles pour le second tour (quelques 328 triangulaires et une quadrangulaire) – exception faite bien entendu des désistements «citoyens» de la gauche et/ou des « barrages au FN » de quelques candidats de droite indisciplinés (ne respectant pas le « Ni-Ni »). On peut donc s’attendre à quelques 278 triangulaires et d’après le Ministère de l’intérieur, à 1614 duels. Le FN serait présent dans 1107 cantons (soit plus d’un canton sur deux) dont 273 triangulaires. 

 

Prévision politico-économique des élections départementales 2015 (vague 2 -Modèle désagrégé)

 

Le samedi 14 mars 2015

 

Véronique Jérôme-Speziari

Bruno Jérôme

 

 

Comment lire et interpréter les simulations du modèle politico-économique (désagrégé) en données départementales ?

 

Après avoir publié les simulations d’un premier modèle en données agrégées au niveau national le 23 février 2015, il nous a semblé opportun de construire un second modèle en données désagrégées départementales dont nous publions ici les estimations au niveau de la strate départementale.

 

Le modèle agrégé avait pour avantage de faire ressortir, sur série longue, le caractère national des élections départementales et son aspect barométrique entre deux échéances électorales majeures comme la présidentielle ou les législatives [1]. L’inconvénient de la démarche est qu’elle constitue une « boîte noire » ne tenant pas compte des disparités économiques et politiques locales. Ceci par pour effet de « tasser » considérablement les simulations des scores en voix et sièges des principaux blocs politiques. Nous insistons d’ailleurs sur notre choix méthodologique qui consiste à tester l’opposition contre la majorité, puis à distinguer ensuite bloc de gauche, bloc droite +  centres, et Front national au premier tour. La transformation des voix en cantons obéit ensuite à la logique propre du scrutin majoritaire à deux tours dans lequel il faut se regrouper pour l’emporter, ce qui « force » mécaniquement au bipartisme au second tour. Le concept de tripartisme souvent évoqué aujourd’hui serait plus approprié s’il s’agissait d’un scrutin proportionnel intégral, ce qui n’est pas le cas aux départementales.

 

Le modèle dont les simulations vont suivre a été construit en données départementales sur la période 1985-2011. Soit 855 observations pour chacune des 30 principales variables du modèle ( plus de 25000 données exploitées) qui comporte 5 équations. Quelques adaptations ont été faites par rapport au précédent modèle agrégé pour tenir compte des disparités économiques et politiques départementales (taux de chômage départemental, zones de force des familles politiques, prime électorale émanant d’un président du Conseil général sortant…).

Les résultats des simulations doivent être lus compte tenu des hypothèses du modèle. Elles sont donc conditionnelles. De même on doit considérer que les électeurs se comportent en moyenne comme ils l’ont fait dans le passé. Enfin les prévisions sont issues d’une méthode probabiliste, donc tenant compte d’une marge d’erreur statistique.

 

Finalement, de tout ceci il ressort qu’il ne faut pas attendre du modèle qu’il donne le « vrai » résultat tel qu’il sera précisément exprimé par les électeurs dans les urnes le jour de l’élection. Le modèle ambitionne cependant d’envoyer un signal en indiquant ce qui pourrait arriver – compte tenu d’un contexte reposant sur des hypothèses- ceci  afin de réduire l’incertitude qui est un des obstacle à la prise de décision, et cela c’est déjà une avancée…

 

[1] voir Bruno Jérôme et Michael Lewis Beck (1999), Is local politics local? French Evidence, European Journal of Political Research, Kluwer Academic Publishers, pour le premier modèle politico-économique des cantonales.

 

(Voir la méthodologie et la logique du modèle -> ce lien)

 

Carte et résultats des simulations par départements

Prévision politico-économique des départementales 2015 (modèle agrégé)

 

Départementales 2015 : pourquoi les duels Droite-FN pourraient conditionner la taille de la vague bleue

 

 

Le lundi 23 février 

 

Véronique Jérôme-Speziari

Bruno Jérôme

 

Notre modèle ElectionScope-départementales 2015, propose une analyse politico-économique globale du scrutin des 22 et 29 mars prochain. L’estimation des voix donne au bloc de l’opposition [Droite + Centre (UDI + MoDem) + FN] un potentiel électoral moyen de 57,7% des voix au premier tour (figure 1). En tenant compte de la marge d’erreur cela conduit à un score compris dans une fourchette de  56,4 à 59%. La borne supérieure de la prévision, se rapprocherait du score obtenu par le bloc des Droites et du Centre en mars 1985 (59,4%). 

 

(Voir la méthodologie et la logique du modèle -> ce lien)

Au sein de cet ensemble, la prévision accorde en moyenne 25,8% des voix au Front national, soit 10,6 points de plus qu’aux cantonales de 2011. En conséquence il reste 31,9% des voix à répartir entre l’UMP, le Centre-droit (UDI) et le MoDem. Globalement, ce score serait de 6,8 points inférieur à celui de 2004 et inférieur de 3,2 points à celui de 2001 (figure 2 et figure 3). 

Cette trajectoire déclinante de la Droite et du Centre face au FN n’a été endiguée qu’en 2008 alors que l’UMP surfait encore sur la « ponction » opérée par Nicolas Sarkozy sur l’électorat de Jean-Marie le Pen lors de la présidentielle de 2007. Aux cantonales 2008, le FN atteignait 5% des suffrages et le bloc du  Centre et de la Droite dominait avec 46,9% des voix. Le « mano a mano » entre la Droite classique et le FN sera bel et bien l’un des enjeux du scrutin de mars prochain.

Ainsi, le score du bloc des Gauches pourrait s’établir entre 41% (hypothèse basse), 42,3% (hypothèse moyenne), voire 43,6% (hypothèse haute). C’est en moyenne un peu moins de 7,5 points de moins qu’en 2011, date du meilleur score à des cantonales depuis l’élection de François Mitterrand en 1981. Si l’hypothèse basse se confirmait, la Gauche se rapprocherait de son pire score jamais atteint à des cantonales sous la Vème République (40,5% en 1985).

Ainsi, la prévision du modèle attribuerait 35% des présidences d’assemblées à la Gauche contre 59% en 2011 (figure 5). Cette situation ne serait pas aussi catastrophique que pendant la période 1985-1994 où la Gauche n’administrait plus que 21% des départements.

Ainsi, mathématiquement la Droite et le Centre seraient les grands vainqueurs du scrutin, reste à préciser l’ampleur de cette victoire en termes de présidences de départements, victoire conditionnée aux duels (voire aux quelques triangulaires) qui seront gagnés par le FN  (comme nous allons le démontrer plus loin). 

La modélisation de la transformation des voix en sièges se solde par une déroute pour la Gauche avec 25% des sièges (soit 514 cantons sur 2054) contre 60% en 2011 (figure 4). Jusque là, la pire performance de la Gauche remonte à 1992 avec 28,8% des sièges. Un tel score ne peut qu’entraîner la perte de nombreuses présidences parmi les assemblées départementales.

Les conséquences de la percée électorale du FN restent pour l’heure difficiles à envisager précisément. Combien de sièges le FN va-t-il emporter ? Cela pourrait-il compromettre des victoires « assurées » à la droite dans certains départements ? Le FN peut-il ravir une ou plusieurs présidences d’assemblées départementales, on songe au Vaucluse, au Var, à l’Aisne ou au Pas de Calais par exemple. En un mot pourrait-on retrouver, par comparaison, une situation analogue à celle rencontrée lors des régionales 1992 et de 1998, lorsqu’il s’est agi d’élire les présidents de régions avec un FN devenu dans certains cas le pivot de l’élection ?

 L’inconnue est d’autant plus grande que jusqu’ici, le FN n’a pas pu arracher plus de 3 sièges aux cantonales (3 sièges en 1994 et 1998; 2 sièges en 2011), au scrutin majoritaire à deux tours, même lorsqu’il était fortement représenté au second tour comme en 2011 (399 maintiens dont 394 duels). Cette fois-ci le FN pourrait s’appuyer sur quatre paramètres décisifs :

  • Un score élevé et inédit à des départementales
  • Un taux de candidatures avoisinant les 95% pour l’ensemble des cantons,
  • Une abstention élevée, autour de 55%, qui placerait la barre à 27,8% des exprimés pour se maintenir au second tour,
  • La division à Gauche ou à Droite provoquant l’éparpillement des voix au premier tour.

Nous pouvons chercher à lever l’incertitude sur au moins deux points :

  • Le taux de maintien théorique au second tour et la proportion duels-triangulaires.

Ainsi, après avoir estimé une relation simple mais extrêmement significative entre le score du FN et le taux de maintien de ses candidats au second tour, nous parvenons à une hypothèse moyenne de 38,1% de maintiens au second tour dans l’ensemble des cantons soit 783 cas (figure 8). Par comparaison, en 2011, le FN avait pu maintenir des candidats dans 19,7% des cantons. Auparavant, les trois meilleures performances du FN, (1992, 1998 et 2004) n’avaient jamais excédé plus de 15% de maintien, en raison de son incapacité à présenter des candidats partout (figure 6).

Enfin, compte tenu de la marge d’erreur, le taux de maintien pourrait monter jusqu’à 40,6% soit 834 cas possibles en mars 2015. Reste alors la question centrale de la structure de ces maintiens : combien de duels et de triangulaires?

Avec notre hypothèse moyenne d’une participation à 45%, le seuil de 12,5% des inscrits à franchir pour accéder au second tour devient 27,8% des exprimés (figure 7). Pour la Gauche, comme pour la Droite et le Centre, la désunion a de fortes chances de se solder par une élimination à l’issue du premier tour. Ceci alors même que le FN se situerait déjà, et en moyenne, autour de 26% des suffrages exprimés.

La conséquence serait alors une proportion très forte de duels avec le FN et beaucoup moins de triangulaires que par le passé. Partant d’une hypothèse moyenne de 38,1% de maintien du FN au second tour sur l’ensemble des cantons, notre estimation envisage 29,9% de duels et 8,2% seulement de cas de triangulaires (soit environ 614 duels et 169 triangulaires) (figure 9). On peut imaginer que ces situations seront concentrées dans les places fortes du FN comme le Vaucluse, le Var,  l’Aisne,  le Pas de Calais. Mais il faudra surveiller le Nord, la Marne, la Moselle, la Meuse, la Haute Marne, le Gard, l’Hérault, la Somme et l’Oise. 

La couleur politique de certains départements dépendra de beaucoup de la faculté du FN à gagner ses duels. Elle dépendra aussi de la stratégie de l’UMP et du PS déchirés entre le ni-ni, le front républicain et les calculs politiques.

Ainsi, des cas déjà rencontrés lors des législatives partielles vont se multiplier. Même si ce panel n’est pas représentatif, on note que sur les 9 élections qui se sont déroulées en métropole, la Droite était 6 fois sortante. Celle-ci a remporté trois duels face au FN et deux face à la Gauche. Le troisième cas étant un duel interne à la Droite. De son côté, la Gauche était sortante trois fois. Elle fut battue 1 fois lors d’un duel Droite/Gauche et victorieuse une fois dans un duel PS/FN (législative du Doubs). Dans le troisième cas, elle fut éliminée au premier tour, la Droite emportant le siège en duel contre le FN.

De là on en tirera quelques enseignements :

  • La propension de la Gauche à être éliminée au premier tour en cas d’abstention forte. Depuis la législative partielle du Doubs ce phénomène gagne aussi la Droite classique.
  • L’abstention propulse la FN au second tour lorsqu’il atteint au moins un quart des suffrages exprimés
  • Le FN a toutes les difficultés à s’imposer en duel au scrutin majoritaire à deux tours. La Droite classique ayant une plus grande faculté à l’emporter que la Gauche.

 

Notre projection agrégée envisage « mathématiquement » un gain de 23 présidences pour les Droites. Reste à savoir pour quelles Droites, et combien échapperont à l’UMP et à l’UDI en fonction du nombre élevé ou non d’élus du FN. Nous reviendrons sur cette question dans le détail des départements prochainement.

 Reste que d’après notre simulation, le succès attendu de la Droite et du Centre dépendra du nombre de duels gagnés face au FN.

Le 20 février 2015 le journal Le Monde titrait « c’est eux ou nous » à propos de l’état d’esprit de l’UMP à l’horizon des départementales 2015. Les cadres  de l’UMP ne croient pas si bien dire…